Les pulls de l'armée française ne sont pas fabriqués en Chine… mais au Maroc

« L’armée française choisit des pulls chinois plutôt que des pulls Made in France. » Voilà le titre d’un article publié par France Bleu qui a suscité une vive indignation, ce jeudi 4 novembre. Selonla radio, une petite entreprise textile française, la marque Regain, installée à Castres (Tarn), aurait perdu un appel d’offres lancé par le ministère des armées pour la fabrication de pulls. La Grande Muette aurait préféré un fabricant chinois, au détriment de la manufacture française.

Cet article a été publié par France Bleu en marge de la venue dans le Tarn d’Arnaud Montebourg, défenseur de la relocalisation et candidat à la prochaine élection présidentielle. Très vite, l’article suscite la colère de personnalités politiques en campagne. Marine Le Pen a par exemple interpellé Emmanuel Macron, coupable de subventionner « les importations chinoises et les délocalisations. Il est temps que l’argent des Français soutienne l’économie française », a-t-elle assuré.

« Maroc ou Tunisie »

Mais au lendemain de sa publication, l’article de France Bleu s’est attiré un démenti cinglant du ministère des Armées. En milieu de journée, Hervé Grandjean, son porte-parole, qualifie l’information de « fake news » : il explique que le contrat en question a en fait été octroyé à deux entreprises françaises en septembre 2020, les sociétés Saint James et Léo Minor, qui produisent « soit en France soit au Maroc ou en Tunisie ».

Ce que confirme le résultat de l’appel d’offres. Ce dernier porte sur trois lots de « jersey, de pull-over et de chandails ». Deux de ces lots, dont le montant total de 2,2 millions d’euros représente l’essentiel du marché, ont en effet été remportés par Léo Minor, qui est en partie installée au Maroc, à Casablanca.

Les pulls de l'armée française ne sont pas fabriqués en Chine… mais au Maroc

Dans un nouvel article, France Bleu explique sa méprise en indiquant que l’invitation-presse envoyée par les équipes d’Arnaud Montebourg justifiait sa venue « par le symbole d’une commande publique partie vers la Chine ». Ce que le candidat n’a pas affirmé publiquement ce jeudi, mentionnant seulement « un producteur étranger » avant de publier un communiqué pointant la société Léo Minor dans l’après-midi.

« Délocalisations maquillées »

Car malgré le correctif, l’ancien ministre persiste : s’il ne s’agit pas d’une entreprise chinoise, l’armée française pratiquerait bien des « délocalisations maquillées ». « Leo Minor n’a qu’un bureau de représentation en France et aucune usine, dénonce-t-il. Après le remplaçant du Famas fabriqué en Allemagne, du pistolet fabriqué en Autriche, de l’abandon du Manurhin entre les mains d’un groupe Emirati, l’armée montre une fois de plus sa défaillance dans le patriotisme économique le plus élémentaire ».

Auprès de Marianne, l’entreprise Léo Minor confirme faire fabriquer ses vêtements à l’étranger. « Les produits livrés à l’armée sont effectivement confectionnés et assemblés au Maroc. En France, nous ne faisons que la recherche de fournisseurs, l’approvisionnement et la conception des produits », assure Antoine Auzépy, le directeur général de Léo Minor.

Sur son site internet, l’entreprise se targue d’être le « fournisseur N° 1 du ministère français des armées », avec 6 millions de pièces vestimentaires fournies depuis 2009. De fait, la société est très régulièrement couronnée à l’issue des procédures d’appel d’offres : rien que depuis 2015, nous avons retrouvé pas moins de 33 marchés publics attribués à Léo Minor par la Défense. Le contrat le plus important prévoit une livraison de « chemises tactiques gilet pare-balles » étalée sur « sept ans », pour un coût global de 84 millions d’euros. En ajoutant les autres achats, qui incluent par exemple des « cagoules de camouflage » et des « sous-vêtement [s] technique [s] », le montant total de ces commandes approche les 250 millions d’euros. Autant d’argent déboursé par l’État pour faire tourner des usines en dehors de l’Hexagone.

78 %, vraiment ?

Au demeurant, l’industriel nîmois n’est pas moins patriotique que ses concurrents, à en croire son directeur général. « C’est le lot de toutes les entreprises textiles françaises, même lorsqu’elles passent des contrats publics. Dès lors qu’il s’agit de grandes séries, toute la fabrication est opérée à l’étranger », assure Antoine Auzépy.

À côté des acteurs français qui sous-traitent à l’étranger, le ministère des armées a d’ailleurs passé commande à des entreprises entièrement basées hors de France ces dernières années. En juillet 2019, une entreprise bulgare a par exemple remporté un ​​appel d’offres de 43 millions d’euros, pour expédier des « chemises manches courtes » vers l’Hexagone. Autre exemple : début 2021, un trio de sociétés installées en Belgique, en Roumanie et au Bangladesh ont décroché un contrat de «sacs de couchage et accessoires », pour une enveloppe totale de 32 millions d’euros. En enlevant ces acteurs étrangers, «78% de l'habillement des soldats français est assuré par des fournisseurs français», a précisé le porte-parole du ministère sur Twitter. Mais parmi eux, combien délocalisent leur production dans des contrées à la main-d'œuvre moins coûteuse ?