Laëtitia Ivanez : vive l’élégance pour tous

C'est dans le cadre renversant du J1 juste avant le Mucem, que l'on rencontre la nouvelle directrice artistique des Galeries Lafayette. Depuis un an, Laëtitia Ivanez a repris les collections propres du groupe. Et son arrivée a fait vraiment l'effet d'une brise marine. Logique pour cette Marseillaise ! "Je suis née à Avignon mais dès mes 6 mois, nous sommes allés habiter à Marseille. Je pense que l'on a fait presque tous les quartiers de la ville, explique-t-elle de ses grands yeux bruns. Donc mes racines sont sur le port..."

Laëtitia a connu la fibre de la mode très tôt. Elle se souvient parfaitement de ses parents en train de teindre leurs fabuleux jupons, les blouses et autres belles pièces. "Des robes très aériennes. Des pulls angoras. Ils créaient leurs propres couleurs et faisaient tout sécher au soleil. J'ai donc trempé dans la couleur dès l'enfance. Mes parents avaient cette marque Louis Ivanez dans leur petite boutique de la rue du Musée. C'était LA boutique de Marseille. Des chauffeurs s'arrêtaient devant pour laisser descendre des clients. On habitait aux Olives, avenue des Poilus. C'est à cette époque que j'ai rencontré Laurence Guez (Maison Empereur)".

Dans les années 90, la boutique finit par fermer. "Mon père est alors monté sur Paris et je l'ai suivi. J'avais 14 ans environ. J'ai toujours été une mauvaise élève ! Je n'étais pas concentrée. Je ne savais qu'une seule chose : je ne voulais surtout pas faire le métier de mes parents. Ce qui me plaisait, c'était la comédie !". Laëtitia suit le Cours Florent pendant deux ans et demi, puis travaille avec Jacqueline Duc au théâtre du Renard. "J'avais la vingtaine ! Je me souviens ainsi de l'inauguration de l'Opéra Bastille. J'étais mime dans les Troyennes et on avait tous très peur car le décor s'effondrait ! Je courais les castings, et pour payer mes cours le soir, je travaillais chez Agnès B. pendant la journée."

Ainsi entre deux tirades d'Andromaque et d'Honorine, Laëtitia Ivanez continue de toucher de belles étoffes, son œil pointu de croiser des tonalités précieuses. La mode encore, certes discrète, est présente. Elle l'est d'autant plus quand son père lance les Prairies de Paris. "Je ne devais pas faire les collections. Mon père était bien plus créatif que moi. Je l'aidais à vendre en fait. Je me souviens quand il allait acheter des tissus au marché Saint-Pierre."

280 modèles par saison

Laëtitia Ivanez : vive l’élégance pour tous

Très vite pourtant, la vie en décide autrement. Son papa disparaît alors même que la collection doit être présentée lors du salon du prêt-à-porter. "J'ai dû prendre le relais en apprenant tout sur le tas. J'avais 24 ans. Même si je me disais que ce n'était pas mon métier, c'était très affectif ". Alors, au pied levé Laëtitia prend la relève, son large cabas rempli de jupons toujours à la main. Elle sillonne la route des premiers concept stores et autres multimarques chics comme Gago à Aix. "Mon père avait conçu des jupons avec 13m de tissus. Il trouvait mes propositions trop simples !".

Pourtant le célèbre groupe Barneys est conquis. Et les jupons de Laëtitia s'envolent pour les États-Unis en 1995. Pendant 25 ans, elle va développer une marque unique, une identité très marquée, à la fois romantique, avec de belles coupes et des matières précieuses. Et des couleurs, bien sûr. Elle sait s'entourer de belles et fidèles personnes comme Yan Useré. Elle va même créer deux très belles collab' en 2002 avec le chausseur André qui connaîtra un immense succès. "J'ai appris un métier. Le théâtre m'a beaucoup aidée... À ne pas avoir peur."

Pour l'instant, la marque est un peu "en sommeil". Comme dit Laëtitia : "Les Prairies de Paris font la sieste au soleil". Elle compte bien lui redonner vie mais a déjà fort à faire avec les Galeries Lafayette. Car depuis un an, la direction artistique du groupe est un énorme challenge pour celle qui prône "l'élégance pour tous". "J'ai envie de toucher un maximum de personnes. De rendre accessibles les matières plus nobles, les matières naturelles."

Sa collection été est déjà un succès. On adore la salopette Tony, le sweat Mash avec le logo Calvi, la jupe Thym. Des imprimés, des couleurs fraîches. Un twist vintage pétillant et espiègle. Avec des prix tout doux. On rêve déjà d'une collection homme, enfant et même de tout un univers pour la maison tant le goût de Laëtitia est sûr, précieux, profond. Et engagé. Elle contrôle provenance des fils et tissus, en essayant de tendre vers le bio. "Je souhaite que l'on consomme plus pur, plus sain, sans avoir des tissus gorgés de pesticides et plus humain aussi."

La créatrice est d'une grande rigueur. Logique lorsque l'on doit produire 280 modèles par saison. "Je ne fais pas les choses à moitié, c’est vrai. J'observe beaucoup. Les clientes dans les rayons, ce qu'elles touchent, achètent. J'ai vraiment envie de m'adresser à tous. J'avais en tête une mode accessible, de bonne humeur et bienveillante." Pari réussi.

Et quand elle ne rêve pas de mode (ce qui est rare) Laëtitia fonce à Marseille, embarque dans la première navette, direction le Frioul.  "À Pomègues précisément. J'adore. C'est impératif. J'aime la nature, l'eau, le sable. Puis, je vais à Noailles, et en fonction de l'époque, je vais au marché de l'ail, à celui des santons." Preuve que Laëtitia est une vraie Marseillaise ? Elle adore le foot et l'OM : "J'étais avant centre et goal... Marseille c'est mon cœur, mon énergie, ma maman, ma lumière. Et je me revendique de la couleur et de la lumière."

Petites confidences...

Belote. La créatrice habite près du Canal Saint-Martin : "Mais je suis sûre que je vais finir à la retraite sur la plage des Catalans à jouer moi aussi à la belote. J'en rêve."

Coachella. "J'aime marcher, danser, chanter. Je voyage aussi. Je suis allée à Coachella avec mon fils. C'était fabuleux."

Silhouette. Elle dessine peu. "Je fais des silhouettes que j'annote. C'est quasi mathématique, il y a des chiffres, des mots."

Groupie. Laëtitia est une femme engagée. "C'est la première fois que j'ai voté pour les présidentielles. En vieillissant, la politique a pris plus de place. Et puis on voit des lois qui passent, des injustices. Emmanuel Macron m'a plu. J'ai aimé sa simplicité à expliquer les choses, son ouverture d'esprit. Je le trouve très humain aussi. Et avec ses 39 ans il redonne de l'espoir. J'aimerais bien les habiller tous les deux ! La nomination de Françoise Nyssen me ravit tout autant."