Les Libanais ont subi une hausse de 144 % des prix à la consommation en septembre

Élu champion du monde du taux d’inflation en septembre par l’agence Bloomberg, le Liban a connu une hausse de 144,12 % en glissement annuel des prix à la consommation pour ce même mois, atteignant 613,96 points (contre 251,5 points en septembre 2020), selon l’indice mensuel des prix à la consommation (IPC) calculé et publié hier par l’Administration centrale de la statistique (ACS). Il s’agit également d’une augmentation de 8,16 % par rapport au mois précédent (567,65 points en août). La base (100) considérée étant celle de décembre 2013.

L’inflation en septembre a donc continué sur sa lancée dans le contexte de crise économique et financière que traverse le Liban depuis deux ans, devançant ainsi le Zimbabwe et le Venezuela, selon Bloomberg, tous deux faisant face également à une dépréciation de la monnaie nationale. Fixée au dollar à 1 507,5 livres, la livre libanaise a perdu, depuis le début de la crise à la fin de l’été 2019, 92,27 % de sa valeur, sur base d’un taux dollar/livre sur le marché parallèle évalué hier à 19 500 livres par dollar.

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Avec un salaire minimum toujours établi à 675 000 livres (soit 34,6 dollars selon le taux d’hier), les Libanais ne disposant pas de revenus en devises sont donc tout simplement condamnés à la pauvreté, qui touche 78 % de la population selon la dernière évaluation de l’Escwa datant de début septembre. Ceux qui en ont économisé ou qui en gagnent encore ont, eux, plus de chances de s’en sortir, voire même de vivre confortablement, selon les cas, en attendant de voir l’impact sur l’inflation qu’aura la levée totale des subventions sur le carburant. Ce mécanisme avait été mis en place par la Banque du Liban (BDL) en octobre 2019. Il a commencé à être progressivement levé au printemps, un processus qui ne s’est achevé que cette semaine.

Les prix du transport en tête

Sans surprise, la palme de la plus forte hausse des prix en septembre dernier revient à ceux du transport, avec une augmentation de 356,91 % en glissement annuel et 31,29 % par rapport au mois précédent, alors que la levée partielle des subventions sur les carburants s’était accélérée début septembre. Dans le détail, le gaz, l’eau, l’électricité et les autres carburants ont augmenté de 18,86 % en rythme mensuel et de 182,44 % par rapport à septembre 2020. L’ACS possède également un autre indice ciblé sur le fuel (diesel, utilisé par les générateurs privés, certains véhicules ou certaines chaudières l’hiver) qui marque « une hausse en septembre de 61,6 % par rapport à août », note Nassib Ghobril, directeur du département des recherches économiques de Byblos Bank.

Pour l’économiste, au-delà de l’inflation due à la crise et à la dépréciation de la monnaie, plusieurs facteurs sont à prendre en compte, notamment et surtout « celui du marché noir de l’essence » qui a fleuri dès le début de la levée progressive des subventions, « en plus de la contrebande des produits subventionnés (vers la Syrie, NDLR), créant des pénuries au Liban », explique-t-il. Le tout sur fond d’une « incapacité des autorités libanaises à superviser les prix du commerce de détail, que certains acteurs du secteur ont pu augmenter de manière non proportionnelle avec le taux de change sur le marché parallèle », ajoute-t-il.

Les Libanais ont subi une hausse de 144 % des prix à la consommation en septembre

Habituellement publiés le mercredi par le ministère de l’Énergie et de l’Eau, les nouveaux prix des carburants de cette semaine ont de facto entériné une levée totale des subventions cette semaine, dépassant la barre des 300 000 livres pour 20 litres d’essence (soit plus de 200 dollars au taux officiel). La crainte de voir en conséquence une explosion de l’inflation en octobre est toutefois relative, estime Nassib Ghobril. En effet, avec les prix en livres du carburant dorénavant calculés au taux du marché parallèle, « il n’y a plus de marché noir de l’essence », entraînant donc une certaine stabilité de ces prix, à l’instar du prix des 1 000 litres de mazout achetés par les propriétaires de générateurs privés qui ont connu une hausse cette semaine de « seulement » 4 %, les subventions sur ce carburant ayant été levées depuis septembre, contre une hausse d’environ 25 % en une semaine pour l’essence à 95 et 98 octane.

Des coûts monstres pour sauver le surgelé

La hausse des prix des carburants est suivie par celle d’une majorité des prix à la consommation, la chaîne de production en étant intrinsèquement dépendante. « Jusqu’à maintenant, nous avons réussi à fournir 22 heures d’électricité sur générateur au sein de nos cinq points de vente, en ayant entre une et deux heures d’électricité publique par jour », explique Zakaria Itani. Un coût monstre pour ce gérant associé de la chaîne de supermarchés beyrouthine Shopper’s qui, au contraire de certains autres concurrents, a fait le choix d’accroître ses capacités de génération d’électricité pour pouvoir continuer de conserver des produits surgelés. « Le jour où nous ne pouvons plus assurer ce système, nous arrêterons d’en vendre pour ne pas mettre en danger la santé de nos clients », assure-t-il.

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Des clients qui « achètent de moins en moins de produits et sont devenus, à raison, extrêmement sensibles aux prix », souligne le jeune homme, ajoutant l’incapacité pour lui et son équipe de se projeter même sur un mois, « l’inflation étant une chose, l’instabilité politique constante et les annonces surprises de nos dirigeants en étant une autre ». Dans les faits, les événements politiques influent sur le taux du marché. Dans le sillage de la formation du gouvernement de Nagib Mikati début septembre, le taux dollar/livre était ainsi passé de 19 000 à 14 000 livres en quelques jours avant de remonter à près de 18 000 avant la fin du même mois.

Selon l’indice de l’ACS, les prix de l’alimentation et des boissons non alcoolisées ont augmenté de 280,86 % en septembre en glissement annuel et de 9,31 % en rythme mensuel, tandis que ceux des boissons alcoolisées et du tabac ont connu une hausse de 213,72 % et de 7,06 % en septembre selon ces mêmes rythmes. « Si les achats des clients sont de plus en plus ciblés, selon leur budget, nous avons également réduit nos volumes et l’importation (payée en dollars, NDLR) de certains produits et privilégions par exemple de plus en plus de produits libanais », explique encore Zakaria Itani.

Les prix du carburant explosent à Nabatiyé

Dans les autres catégories, l’ACS indique qu’en septembre dernier les prix des restaurants et des hôtels ont augmenté de 293,36 % en glissement annuel et de 5,78 % en rythme mensuel. Sur la même période et aux mêmes rythmes, les soins de santé ont haussé de 212,08 % et de 2,9 % et ceux de la culture et des activités de loisirs ont augmenté de 106,94 % et de 1,57 %. Deux baisses en rythme mensuel sont à noter pour l’habillement (- 3,05 %) et les moyens de communication (- 1,12 %). Tous deux ont toutefois augmenté de 165,96 % et de 32,38 %, respectivement, en glissement annuel.

Au niveau des régions, les prix en septembre ont augmenté en rythme mensuel dans tous les mohafazats du pays, à commencer par la région de Nabatiyé (11,51 %), suivis par ceux de la Békaa (9,6 %), du Liban-Sud (9,07 %), de la capitale (8,51 %), du Liban-Nord (7,64 %) et du Mont-Liban (7,41 %). Dans la catégorie des carburants, c’est également à Nabatiyé que l’ACS note une plus grande augmentation des prix avec un total de 35,24 %, contre une moindre au Mont-Liban avec 11,58 %. Concernant les prix de l’alimentation et des boissons non alcoolisées, c’est à Beyrouth que la hausse s’est faite plus sévère (25,1 %), contre une moyenne s’établissant sous les 10 % pour l’ensemble des autres régions. Les coûts du transport ont par contre équitablement augmenté dans chacune d’elles, tournant autour des 30 %.

Si l’on peut s’attendre à des prix à la consommation allant encore une fois crescendo en octobre, « septembre ayant été le 15e mois consécutif d’un taux d’inflation à trois chiffres, depuis juillet 2020 donc », rappelle Nassib Ghobril, « la responsabilité des autorités à superviser ces prix » demeure l’une des prérogatives nécessaires pour tenter, tant bien que mal, de contrôler la courbe. Pour Zakaria Itani, il semble évident que la société libanaise se dirige, elle, vers une nouvelle « dollarisation », soit des dépenses de plus en plus calculées sur base du taux du marché – un point également soulevé dans nos colonnes hier par l’Association des consommateurs –. Du moins, jusqu’à ce que le gouvernement trouve une solution pour stabiliser ce taux ou fixer une nouvelle parité entre la livre et le dollar.