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Série Décoloniser l'aide au développement, Épisode 3:

Dans les pays en développement, des ONG sises sur place aidées par les populations locales savent pertinemment quels sont leurs besoins en aide. Mais elles doivent souvent se ranger derrière les ONG humanitaires occidentales. Dans ce domaine, la Suisse affiche une vision progressiste.

Ce contenu a été publié le 07 octobre 2021 - 10:00

Docteure en droit. A travaillé comme journaliste notamment pour la NZZ, K-Tipp, Saldo, Plädoyer et le Zürcher Oberländer.

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A l’âge de 13 ans, Bwaita Aggrey est tombé par hasard un jour sur deux jeunes Suédois, Jacob et Frida, de passage à Jinja, une ville du sud-est de l'Ouganda située sur les coteaux du lac Victoria. «Ils n'avaient pas d'argent pour se payer un guide pour visiter la ville», se remémore Bwaita. C’est sans hésiter qu’il leur propose une visite du site. La seule chose qu’il souhaite alors en retour est «la garantie de devenir des amis». Les numéros de téléphone sont alors échangés.

Quelques semaines plus tard, Bwaita Aggrey a reçu un SMS en provenance de Suède. Jacob et Frida avaient évoqué son cas à leurs amis et familles respectives puis avaient collecté de l'argent afin de parfaire son éducation. «J'étais tellement excité», a expliqué par écrit Bwaita à SWI swissinfo.ch.

Jacob est par la suite retourné en Ouganda, afin d’aider Bwaita Aggrey à ouvrir un compte en banque. Jacob lui a alors adressé le conseil suivant en partant: «Ton avenir t’appartient. C’est donc à toi de décider comment dépenser l’argent que nous t’envoyons. Que tu l’utilises pour des frais d’écolage ou pour le dépenser avec tes amis, c'est ton choix personnel. Mais ne nous déçois pas».

L’aide via les réseaux sociaux

Agé aujourd’hui de 21 ans, Bwaita Aggrey peut être fier du chemin parcouru. Il est devenu non seulement en Ouganda une star émergente de la mode avec sa propre griffe, mais a fondé l’an passé la plateforme «Youth Coffee Talk Africa» à l’attention des jeunes, visant à les «rendre autonomes» au-travers de la technologie, l'éducation, l'entrepreneuriat et le divertissement. Bwaita Aggrey incite également ces derniers à accomplir du bénévolat dans leur communauté.

Les résultats sont parlants: durant le confinement consécutif à la crise sanitaire, son ONG a fourni des serviettes hygiéniques à un bon millier de jeunes filles des bidonvilles. Des vêtements ont également été collectés. Sur Instagram et YouTube, «Youth Coffee Talk Africa» sensibilise les jeunes hommes au port du masque et distille des conseils en cas de maladie. Sur les réseaux sociaux, une campagne contre les grossesses précoces a aussi été organisée.

«Jacob et Frida m'ont motivé dans mon travail et m’ont donné confiance, poursuit-il. Grâce à la discipline financière apprise, dès l’âge de 13 ans j’ai pu ficeler un budget et établir des priorités avec l'argent expédié de Suède.»

L'aide au développement nuit aux initiatives locales

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L'aventure vécue par Bwaita Aggrey démontre que les initiatives locales peuvent constituer une alternative valable face à toute l'aide prodiguée par l’Occident. Moralité: en lieu et place des «sauveurs blancs» venus de l'étranger, les habitants du Sud peuvent devenir les héros de leurs propres histoires.

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Selon elle, l'aide internationale devrait davantage appuyer les efforts entrepris au niveau local au lieu de toujours lancer de nouveaux projets. «En Afrique, nous notons d’immenses progrès en un temps record via l'entrepreneuriat social. Les autochtones investissent dans leurs communautés, savent ce qui est nécessaire et obtiennent la confiance des populations. Ce qui évite une foule de formalités et rapports». Les progrès sont plus durables aussi. Sur la base du volontariat, des personnes se responsabilisent plus facilement pour les projets. Il ne s’agit pas là bien sûr de l’unique manière d’accorder des aides en matière de développement, mais c'est un complément utile qui mérite notre attention.

La Suisse alloue des fonds à tout le monde

La Suisse est le seul pays qui respecterait les directives de l’OMC en matière d’attributions de fonds pour des projets d'aide au développement de type bilatéral. En bref, toute ONG dans le monde pourrait normalement demander des fonds suisses. Et pas uniquement une organisation avec siège en Suisse ou aux Etats-Unis. Mais par exemple aussi une petite ONG comme «Youth Coffee Talk Africa» en Ouganda. La pratique veut que les gouvernements attribuent des contrats à des ONG basées chez eux et non à l’étranger. Ce que l'ONG Peace Direct surnomme les «habituels suspects» bénéficiaires de fonds publics. En général, des ONG qui nourrissent quelques accointances avec les donateurs.

Mais la méthode suisse fait débat même en Suisse. Des ONG ne partagent pas la stratégie qui y est actuellement menée. Selon ces voix critiques, elle désavantagerait les ONG suisses par rapport à leurs concurrentes à l’étranger.

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Il n’existe pas d’engagement international formel en faveur d’appels d’offres publics, afin de soutenir des projets d'aide au développement. Le Parlement suisse a pris en réalité cette décision de sa propre initiative. Et jusqu’ici Berne s'y tient. Récemment encore, les parlementaires ont rejeté une motion voulant justement donner la priorité aux ONG suisses.

S’il peut apparaître comme embarrassant vu de Suisse qu'une ONG britannique se voit attribuer un contrat par une agence d'entraide helvétique, financé via l'argent des contribuables suisses, ce type d’adjudication est, en théorie, plutôt une chance pour les ONG du Sud. Une ONG de Colombie pourrait ainsi demander des fonds pour mener à bien un projet sur place, en partant du principe qu’elle possèderait davantage d'expertise qu'une ONG… française.

Ce que les chiffres révèlent

Mais l’octroi de ces contrats est accompagné d’exigences élevées imposées à ces ONG. Des réglementations en matière de conformité, de suivi, de remise de rapports. «Répondre à ces demandes nécessite des capacités institutionnelles», décrypte pour SWI swissinfo.ch un porte-parole de la diplomatie suisse. Trop, c’est trop, estime pour sa part l’ONG Peace Direct. Les exigences occidentales seraient, selon elle, surtout bureaucratiques et fondées d’abord sur des valeurs et rouages occidentaux, lesquels dévaluent les connaissances sur le terrain. Une manière d’exclure ces ONG des financements. Obtiennent-elles des contrats suisses ou les agences occidentales en bénéficient-elles d’abord?

Selon la diplomatie suisse, sur les 141 projets de coopération attribués de cette façon entre 2017 et 2020, 80 sont allés à des prestataires suisses, 44 à des ONG du Nord et 17 à des prestataires locaux.

Un déséquilibre a priori apparaît entre Nord et Sud. Mais si l’on compare ces chiffres avec ceux d’autres pays du Nord, la Suisse se situe en bonne position.

L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a de son côté analysé les données sur la période 2018-2019. «La Suisse figure au troisième rang des donateurs qui accordent leur aide à des ONG des pays en développement. Seuls l'Union européenne et le Royaume-Uni font mieux», indique un porte-parole de l'OCDE. En résumé, la Suisse est aujourd’hui l'un des pays au monde qui allouent le plus de soutiens à des ONG sur place.

N’en reste pas moins, toujours selon l'OCDE, que les ONG de ces pays ne reçoivent que la plus petite part des fonds publics destinés au développement. La plus grosse portion continue d’alimenter des ONG dans les pays donateurs.

Une question se pose: une petite ONG comme «Youth Coffee Talk Africa» en Ouganda pourra-t-elle bénéficier un jour d'un financement public venu du Nord? Bwaita Aggrey n’en a cure. Par la grâce du numérique, le monde entier est aujourd’hui à sa porte.

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