Luxe immobilier au goût de cendres sur l'île tropicale du Phénix

On l'appelait il y a peu la «Dubaï chinoise»: l'île du Phénix, un ensemble de gratte-ciel en forme de voiles en mer de Chine méridionale, était il y a peu l'incarnation du boom de l'immobilier de luxe dans la deuxième économie mondiale.

Publié le 1er mars 2013
Tom HANCOCKAGENCE FRANCE-PRESSE

Sur cette île artificielle aux avenues bordées de palmiers, entourée d'eaux tropicales, la chute vertigineuse des prix des appartements est révélatrice aujourd'hui des fragilités de l'économie chinoise, toujours en forte croissance, mais où l'argent n'est pas toujours investi de manière très rentable.

Un hôtel «sept étoiles» est en construction sur l'île, encore promue par les autorités locales comme un prétendant sérieux au titre de «huitième merveille du monde».

Mais dans l'eau des piscines où se reflètent les tours blanches et les décapotables rouges et jaunes, rares sont les signes de présence humaine en plein hiver, pourtant haute saison touristique sur l'île tropicale de Hainan.

Les entrepreneurs qui s'étaient arrachés les propriétés cherchent désormais à s'en défaire afin de rembourser les crédits contractés, car leurs bénéfices ont fondu, particulièrement dans les industries exportatrices qui souffrent de la crise en Europe. La hausse des salaires en Chine fait pression sur les marges des producteurs et exportateurs de «l'usine du monde».

Luxe immobilier au goût de cendres sur l'île tropicale du Phénix

Les appartements sur l'île du Phénix avaient atteint le prix faramineux de 150 000 yuans (24 900 $) le mètre carré en 2010. Ils sont aujourd'hui proposés pour 70 000 yuans, selon Sun Zhe, un agent immobilier local.

«Je viens de recevoir un appel d'un homme d'affaires cherchant à vendre à tout prix», a déclaré à l'AFP M. Sun, qui circule au milieu du quartier futuriste à bord d'une voiturette électrique.

«Que ce soient les jouets ou les vêtements, l'export ne se porte pas bien. Les propriétaires ont besoin de capitaux rapidement et veulent se débarrasser de leurs appartements», explique cet agent qui assure que ses clients «ressentent vraiment l'impact de la crise financière».

Et leur précipitation risque de faire éclater la bulle de l'immobilier de luxe: «Il arrive un moment où les gens veulent retirer leur mise, et c'est alors que vous voyez s'il y en a d'autres prêts à payer des prix aussi élevés», commente Patrick Chovanec, professeur d'économie à l'université Tsinghua de Pékin.

Hainan, province la plus méridionale du pays, a la taille de la Belgique. Elle a connu la plus forte hausse des prix immobiliers depuis le plan de relance lancé fin 2008 par Pékin en réaction à la crise financière mondiale, qui a donné un coup d'accélérateur au crédit.

A l'époque, les prix augmentaient de 50 % par an, et des investisseurs campaient dans des tentes dans les rues de l'île pour pouvoir acheter.

Mais la politique mise en place pour éviter la formation d'une bulle dans l'immobilier a abouti à des restrictions sur les emprunts et les achats de logements multiples par les particuliers.

Dans le nord de l'île, la résidence «Jardins du bon augure avec vue sur la mer», avec villas sur la plage et bibliothèque de 100 000 ouvrages, a vu les prix, qui avaient culminé à 12 000 yuans (1995 $) le mètre carré l'an dernier, chuter d'un tiers. Et un tiers des logements n'ont pas trouvé preneur.

«Avant les restrictions gouvernementales, nous vendions un complexe comme celui-ci en tout juste cinq mois», se lamente Yang Qiong, responsable des ventes de la résidence.

Les Chinois ont massivement investi dans la pierre, longtemps le meilleur moyen de valoriser leur épargne quand beaucoup ont perdu des plumes à la bourse.

Pilier de l'économie chinoise, l'immobilier a pesé près de 14 % du PIB l'an dernier. Dans le pays, la hausse des prix des logements provoque un mécontentement grandissant: le plus grand nombre n'a plus les moyens de devenir propriétaire.

La colère est aussi dirigée contre la corruption. Rien que ces dernières semaines, plusieurs affaires de responsables ayant acheté de nombreux appartements, parfois grâce à des faux papiers, ont fait la une des médias. Dans un cas, un policier avait acquis 192 logements dans une même ville de la province du Guangdong, voisine de Hainan.

Mais en dépit de projets de loi qui obligeraient les fonctionnaires à rendre publique la liste de leurs biens, les agents immobiliers ne font pas état de mises en vente massives de leur part. Même à Hainan, dont les plages tropicales sont réputées être très prisées des fonctionnaires au bras long.