Guillaume Dustan, le sulfureux fantôme qui continue de hanter la littérature

Guillaume Dustan était séropositif. Vivre avec un virus, c’est là une chose qu’il connaissait. C’est même ce qui l’a fait connaître à la fin des années 1990. Ceux qui ne l’ont pas lu se souviennent au moins de ses apparitions à la télévision le samedi soir dans « Tout le monde en parle » de Thierry Ardisson où, coiffé d’une perruque, il revendiquait la pratique du bareback – la baise sans capote dans le milieu gay. « Beaucoup se contentent de ne pas lire un écrivain, mais d’entendre parler de lui », observe l’écrivain Thomas Clerc, qui a dirigé et préfacé la réédition de ses œuvres complètes chez POL. Mais ceux qui l’avaient lu connaissaient sa valeur, par-delà le scandale et l’effet de mode.Guillaume Dustan, le sulfureux fantôme qui continue de hanter la littérature Guillaume Dustan, le sulfureux fantôme qui continue de hanter la littérature

En 2013, à la parution du premier volume, Virginie Despentes a publié dans Le Monde une lettre à son ami disparu : « Depuis quelques années, je relis tes livres. C’est une surprise. Alors comme ça, c’est toi, le meilleur d’entre nous ? Et de loin. Tu as encapsulé les 90’s. Cette France de la fin du siècle dernier, le Paris de la nuit, l’état d’esprit, les objets, les habitudes – ça remonte d’entre tes pages. Tout y est. Mauvaise humeur, consumérisme qu’on croyait cool, techno, jouissances à la chaîne, Madonna, Minitel, ecstasy, obsession pour les fringues, politiques identitaires, alcools blancs et pharmacopée. » À l’époque, on n’a pas su déceler son incroyable modernité. Ses livres semblent annoncer le futur, mais un futur qu’il faut encore rêver car, comme l’écrit Thomas Clerc, « GD est fondamentalement un utopiste, dans la lignée de Rousseau, Fourier, Wilhelm Reich et Monique Wittig, pour qui la question des passions est la question centrale de la société et de son organisation. » Réfléchir aux affaires de la cité, Dustan l’a toujours fait. Son milieu, sa formation même (l’Éna), l’y ont toujours conduit. « Énarque et séropositif », avant celle d’« écrivain sulfureux », fut l’étiquette qu’on lui colla.

À l’époque, il n’est pas encore Guillaume Dustan, mais William Baranès, son nom d’état civil. Tout le monde lui prédit un grand avenir. Il a toujours été brillant et fait preuve d’une aisance incontestable dans la dissertation, cette spécialité si française où il faut exceller pour réussir les concours des grandes écoles. À 15 ans, il est reçu premier au concours général de français et d’anglais. William aime écrire, William sait écrire. La rhétorique est son arme la plus redoutable. Personne ne doute alors de son entrée à Normale sup : elle lui était acquise, si seulement il avait entendu son réveil et était arrivé à temps pour l’épreuve d’histoire. La nuit, déjà, avait décidé de son destin.

Guillaume Dustan, le sulfureux fantôme qui continue de hanter la littérature

Comme Emmanuel Macron, il est passé par une classe préparatoire au lycée Henri-IV et par Sciences Po, et c’est après cet échec à Normale qu’il prendra sa revanche en intégrant l’Éna. C’est un pur produit de l’élite : père psychanalyste d’origine séfarade, mère architecte d’intérieur d’origine ashkénaze, il grandit dans le IXe arrondissement de Paris. Ses grands-parents sont des juifs assimilés, de Tunisie, de Pologne et d’Allemagne. Depuis l’enfance et jusque dans sa vie de jeune adulte (en gros avant qu’il ne fréquente le milieu gay), il fera preuve d’une fascination pour l’étiquette, la bienséance et la haute société. Sonia Kronlund, productrice de l’émission « Les Pieds sur terre » sur France Culture, l’a connu dans ses années lycéennes et se souvient de sa passion pour l’héraldique, de ses réceptions où on servait des cocktails avec des gants blancs et même de son histoire avec Franck de Lapersonne avec qui il se saoulait au champagne. Sur cette relation improbable, le comédien, découvert dans « Sexy Zap », la série érotico-­comique des années 1990 de M6, passé ensuite par le Front national, n’a pas voulu nous répondre malgré nos relances – il semblerait que Dustan reste pour certains plus infréquentable que l’extrême droite. Dustan a pourtant des mots plutôt tendres à son égard dans Nicolas Pages (Balland, 1999) : « Ex à moi, devenu acteur de boulevard depuis. M’a beaucoup protégé à une époque difficile (1984-1985). » Même s’il raconte, par ailleurs, cette anecdote à propos d’un sauna gay : « J’y suis allé direct. Payé en carte bleue. Comme à chaque fois que je fais ça, j’ai pensé à Franck qui payait toujours en liquide dans les endroits pédés pour qu’il n’y ait pas de traces. Il voulait faire de la politique. »

L’abattement de Michel Houellebecq

La remise en cause du pouvoir et de l’autorité est au cœur de la réflexion Dustan ; le rapport au père y est central. « Il l’adorait », nous confie sa mère. Et il voulait en être aimé confieront de nombreux proches. Il répète autour de lui, pendant ses années à Sciences Po, que c’est pour faire plaisir à son père qu’il y étudie. En parallèle, il prépare une licence de philosophie à la Sorbonne. C’est là qu’il rencontre Marie-Anne Frison-Roche, devenue une éminente professeure de droit semblant sortie tout droit d’un film d’Éric Rohmer. Elle souligne à quel point les études étaient faciles pour lui : « Il voulait impressionner son père avec l’Éna. » C’est là l’occasion rêvée, le motif de fierté ultime. Les années qu’il y passe, 1989-1991, sont la fin d’un monde, le début d’un nouveau. Il n’y a pas que le mur de Berlin qui tombe alors ; les victimes du sida aussi, une à une. 1989, c’est l’année où Act-Up Paris est créé.