Comment la marque Supreme a transformé l'achat d'un sweat à capuche en quête du Graal

Une malle Louis Vuitton x Supreme estimée à plus de 70 000 euros, un marteau Hammers x Supreme estimé à plus de 600 euros ou un simple tee-shirt blanc orné du logo Supreme estimé à près de 3 000 euros : voici quelques-uns des accessoires qui sont mis en vente jeudi 16 mai chez Artcurial, à Paris, lors d'enchères exceptionnelles regroupant des produits emblématiques de la street-culture américaine. Parmi les marques les plus représentées et les plus attendues, Supreme, une marque de skate valorisée à plus d'un milliard d'euros, dont l'engouement pour ses produits affole les porte-monnaies de ceux qui veulent arborer son célèbre logo. Nous nous étions d'ailleurs rendu, en novembre dernier, dans la seule boutique parisienne pour tenter de comprendre ce phénomène. Comment la marque Supreme a transformé l'achat d'un sweat à capuche en quête du Graal Comment la marque Supreme a transformé l'achat d'un sweat à capuche en quête du Graal

Dans le quartier du Marais, à Paris, il existe un magasin devant lequel se pressent tous les jours au moins une douzaine de personnes, alignées derrière un cordon de sécurité sous le regard d'un vigile à l’affût. Ouverte en mars 2016, la boutique Supreme (la deuxième en Europe) continue de drainer son lot de badauds, curieux de connaître la raison de cet attroupement dans la très calme rue Barbette. Ils en ressortent plus confus encore. Car la boutique est quasi vide. Hormis quelques planches de skateboard au mur et des portants avec essentiellement des pièces XXL, vous ne trouverez rien à acheter, et surtout pas les très prisés hoodies (sweat-shirts à capuche) de la marque que les adolescents s'arrachent.

Chez Supreme, les choses sérieuses se passent surtout le jeudi. Chaque semaine, un curieux manège se met en place. Au compte-gouttes et sous haute surveillance, les acheteurs sélectionnés plus tôt dans la semaine par le staff parisien pénètrent à partir de 11 heures dans la boutique, tandis que quelques touristes se font gentiment recaler.

Pour comprendre la hype suscitée par cette boutique, il faut se pencher sur cette marque de vêtements créée à New York en 1994 par le Britannique James Jebbia. Conçue initialement pour les skateurs, elle mise dès ses débuts sur la qualité de ses textiles et de ses planches de skateboard. Immédiatement, elle se forge une image rebelle, en marge de ses concurrents, et se fait rapidement remarquer grâce à des collaborations malignes, tant avec des marques (The North Face, Comme des Garçons, etc.) qu’avec des artistes contemporains (Andres Serrano, Cindy Sherman, etc.).

"Le Chanel du streetwear"

Mais le coup de génie de son créateur réside dans son mode de distribution ultra élitiste, inspiré des plus grandes marques de luxe. Dans la pratique, Supreme produit chaque saison plusieurs centaines de pièces différentes que la marque met en vente à un rythme hebdomadaire et en très faibles quantités.

Comment la marque Supreme a transformé l'achat d'un sweat à capuche en quête du Graal

Vingt-trois ans plus tard, un véritable culte est voué à la marque, adoubée par de nombreuses célébrités, de Rihanna à Justin Bieber en passant par les rappeursKanye West ou Tyler, the Creator qui, selon le New York Times, n'hésite pas à qualifier la marque de "société secrète". Une des pièces Supreme les plus prisées est d’ailleurs le "photo-tee", un tee-shirt sur lequel est imprimée la photo d’une star (Kate Moss, Morrissey, Nas, etc.) portant un tee-shirt Supreme. Un genre d’Inception de la sape.

Surnommé "le Chanel du streetwear", Supreme est reconnaissable par son célèbre logo blanc sur fond rouge (inspiré des œuvres de l’artiste contemporaine américaine Barbara Kruger) qu'il appose sur tout et n’importe quoi. Une brosse à dents, une guitare, un extincteur ou même une brique font partie des objets logotypés et vendus un jour par la marque. Une excentricité qu’elle partage avec la griffe de luxe de la rue Cambon, comme le souligne le site spécialisé Highsnobiety.

Sur Instagram, Leo Mandella, un ado de 14 ans passionné par Supreme (mais aussi Palace et Bape, ses équivalents britannique et japonais) se met en scène chaque semaine en portant principalement des vêtements et accessoires de sa marque fétiche. Le compte de ce jeune Anglais, devenu l'une des icônes de Supreme à travers le monde, est suivi par près de 450 000 personnes.

Mais la pièce Supreme la plus convoitée est le "box logo hoodie" que les connaisseurs nomment "bogo". Un hoodie monochrome simplement orné du logo Supreme brodé au centre. Il est traditionnellement commercialisé le premier ou deuxième jeudi de décembre et provoque des files d'attente monstres, comme en témoigne cette vidéo tournée le jour du fameux drop (mise en vente) devant la boutique londonienne en 2016.

Tirage au sort et "proxy"

Pour acheter du Supreme, mieux vaut en effet être prévoyant. Car s'offrir une pièce sur le site internet de la marque relève du miracle. Actualisé chaque jeudi à midi pile avec les nouveaux produits droppés, il affiche souvent sold out ("épuisé") quelques minutes, voire quelques secondes plus tard pour les articles les plus convoités.

Du coup, l'acheteur potentiel a tout intérêt à s’être inscrit sur un site internet (dont l’adresse circule entre initiés). Il reçoit ensuite chaque lundi matin un e-mail lui indiquant un lieu de rendez-vous dans Paris où il doit se trouver une heure plus tard. Sur place, ils sont souvent plus d’un millier. Divisés en petits groupes puis tirés au sort par le service d'ordre employé par la boutique, les chanceux se voient attribuer un horaire de passage en boutique le jeudi suivant. Pour éviter cette logistique, certains acheteurs font appel à des "proxy", des revendeurs, comme Birax.

Pour cet "éboueur" de profession, être "proxy" est le meilleur moyen d’arrondir ses fin de mois. Ce père de famille se propose, moyennant quelques dizaines d’euros par pièce, d’acheter pour vous le vêtement que vous désirez. S’il est "bien tiré au sort", la revente d’objets et vêtements Supreme lui permet de gagner entre 300 et 600 euros par semaine et ainsi d’offrir quelques pièces à son fils de 13 ans.

Sur des groupes Facebook privés comme Supreme Paris France ou Supreme France Buy/Trade, on peut, en début de semaine, "embaucher un proxy" pour le jeudi suivant. Chacun y annonce son heure de passage en boutique et la commission qu'il prélève par article. Ces sites sont également les lieux privilégiés pour revendre ses achats, à peine sorti de la boutique.

Un tee-shirt à 48 euros revendu six fois plus cher

Preuve de l'incroyable succès de la marque, les contrefaçons pullulent et le marché noir s'est rarement aussi bien porté. Le dernier "photo tee" avec le rappeur Nas, vendu 48 euros en magasin, s’arrache aujourd’hui entre 250 et 300 euros auprès de particuliers ou sur des sites spécialisés dans la revente de produits Supreme.

Pour acquérir les plus belles pièces de la collection, les plus fortunés (et parisiens) se rendent dans un dépôt-vente qui revend du Supreme, comme Afterdrop. Ils y trouvent les produits quelques heures à peine après leur mise en vente dans la boutique officielle. Seul inconvénient, entre la marge du revendeur et celle du dépôt-vente, les prix ont tendance à s’envoler.

Ceux qui veulent la jouer solo peuvent quand même tenter leur chance en ligne. Seule condition : être très organisé, rapide et, pour les objets les plus demandés, disposer de plusieurs ordinateurs et faire l’acquisition d’un “bot”, un logiciel qui va scanner le site à intervalles réguliers et remplir votre panier à votre place. Une méthode qui exige l’emploi d’un VPN (un outil permettant de masquer son adresse IP) afin d’éviter d'être banni par le site, et surtout beaucoup de chance, les bugs et plantages étant monnaie courante. La hype, ça se mérite.