Port d’arme : allons contre les préjugés

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.Publié le 19 février 2018-A+

Par Gabriel Delauney.

Au regard de l’actualité, je suis favorable plus que jamais favorable au droit au port d’armes citoyen, tant pour les Américains que pour nous autres, civils d’outre-Atlantique.

Les hoplophobes – personnes hostiles aux armes – me diront que je suis un insensé et me jetteront à la figure des chiffres entendus à la télévision ou à la radio.

Si France Info s’amuse à jouer les outrés avec un article qui comptabilise le nombre de drames causés en une journée par des personnes armées chez l’Oncle Sam, et si BFMTV comptabilise plus d’Américains morts par arme à feu entre 1968 et 2015 qu’au cours de toutes les guerres auxquelles les États-Unis participèrent, les journalistes ne prennent guère la peine d’y réfléchir de manière posée.

Je n’ai donc aucune crainte à les communiquer à mon tour, avant de dire en quoi ces chiffres ne veulent rien dire par eux-mêmes.

Les décès par arme à feu en chiffres

En moyenne, les États-Unis subissent près de 30 000 décès annuels par armes à feu.

D’abord, près des deux tiers de ces décès sont des suicides (21 386 en 2014 selon le Gun Policy, Centers for Disease Control and Prevention), donc en rendre responsable le port d’arme est idiot, un suicidaire n’ayant pas le droit de posséder une arme à feu utilisera une corde, se tranchera les veines ou se jettera sous un véhicule, mais il est évident qu’il pourra utiliser une arme s’il a envie d’abréger ses jours.

Ensuite, près de 11 000 personnes – 11 008 selon la même source à la même année – décèdent par homicides. Là encore il faut savoir faire la part des choses.

En effet, combien de ces personnes furent abattues par les autorités ou par des citoyens en état de légitime défense ? Elles sont plusieurs milliers chaque année. Il me semble nécessaire de les retirer des comptes officiels car elles sont responsables de leur sort.

Combien de ces personnes tuées furent abattues lors de guerres de gangs ou autres frasques ne relevant pas de l’honnête citoyen armé ?

Combien d’entre elles furent abattues dans un cadre purement intimiste – disputes conjugales par exemple –, meurtres qui auraient tout aussi bien pu avoir lieu avec des armes blanches et dont le cadre exclut toute exaction en pleine rue à l’encontre des autres citoyens ? Pour l’année 2015, l’ONG Mass Shooting Trackers comptabilise 68 % des 355 fusillades qu’elle recense dans le domicile du tireur.

Enfin, combien de ces homicides – tuant d’honnêtes personnes, insistons là-dessus – sont réalisés avec des armes acquises légalement ?

Pour finir, près de 1000 personnes décèdent par accident avec une arme à feu. Là on pense à des enfants malchanceux ou des mineurs et adultes n’ayant pas pris toutes les précautions nécessaires. S’il faut à tout prix protéger l’enfance et plus largement les individus, blâmons les parents irresponsables pour leur négligence et poussons le vice prohibitionniste jusqu’à interdire la détention de médicaments à domicile car eux aussi ont un potentiel létal sur les enfants ou sur les adultes ne respectant pas la posologie.

Quelle que soit la réponse que l’on accepte, 30 000, 11 000, ou même beaucoup moins, il faut reconnaître que c’est peu pour un pays de 320 millions d’habitants où circulent 270 millions d’armes légales.

Comment devient-on une victime ?

Ensuite, un autre fait importe : il s’agit des conditions de réalisation de ces meurtres, surtout les plus médiatisés, ceux qui ont lieu lors des fusillades, notamment en milieux scolaires.

Il se trouve en effet que les meurtriers ciblent en général des lieux publics dans lesquels les civils n’ont pas l’autorisation de porter une arme, qu’elle soit dissimulée ou non ; les gun free zone.

La loi fédérale restreint en effet le port d’arme à moins de 300 mètres de la ligne de propriété de toute école publique ou privée. À ces zones « libres d’armes à feu » s’en ajoutent d’autres qui concernent les bâtiments officiels et d’autres types de lieux publics selon les lois locales, comme par exemple les campus universitaires qui peuvent ainsi refuser le port d’arme y compris aux titulaires d’un permis.

Bon nombre de massacres supposés nous horrifier à propos du droit au port d’armes eurent comme théâtres des gun free zone, comme cela a été le cas à Virginia Tech.

Combien de personnes sauvées ?

Loin d’une macabre comptabilité ou d’une juste contextualisation des meurtres, sachons raison garder et estimons quant à nous le nombre de biens et de vies sauvées par le droit au port d’armes civil 1.

Dans un premier temps, penchons-nous sur les biens.

Une arme sert bien évidemment – et heureusement – à faire respecter sa propriété bien plus souvent qu’à protéger sa vie.

Un cas d’école qui démontre l’utilité du port d’arme dans cette optique est celle de la ville de Kennesaw, dans la banlieue d’Atlanta. Cette ville a adopté en 1982 une loi qui obligeait les chefs de foyer à disposer d’au moins une arme à feu dans la maison. Le taux de cambriolages résidentiels chuta de 89 %2.

Passons maintenant à la protection des personnes.

Selon l’étude Armed Resistance to Crime, les armes à feu sont utilisées 2,5 millions de fois par an par des citoyens américains en état de légitime défense, pour la protection des biens et personnes.

N’imaginez pas toutefois que le pays est un immense parc de tir où les balles perdues volent au vent : les citoyens ne doivent se résoudre à tirer sur leurs adversaires que dans 2 % des cas, exhiber leurs armes ou tirer un coup de semonce étant en général suffisant pour avoir la paix.

Port d’arme : allons contre les préjugés

La paix suppose de préparer la guerre, et comme aux tréfonds des âges où nos ancêtres ne se seraient jamais lancés à la conquête des continents sans armes, le port d’armes est aujourd’hui salutaire pour les populations éloignées des forces de l’ordre, et offre un soutien technique et moral salutaire pour nos contemporains qui sortent de leur zone de confort3.

Si le port d’arme sert à se défendre du vol et à appréhender avec plus de sérénité l’inconnu, il sert aussi à parer les violences physiques, et plus encore les violences sexuelles. On a vu que le nombre d’agressions empêchées par la présence d’une arme se chiffre en millions.

Vous ne l’ignorez pas, la réalité du viol n’est pas assimilable à une succession disparate de faits divers. Quand on parle de viol, on parle d’une réalité épidémiologique ; il y aurait ainsi en France 75 000 viols par an et 198 000 tentatives. Une femme sur dix subira un viol au cours de sa vie.

C’est malheureusement universel et encore une fois nous allons nous rendre aux USA. Selon l’étude de Kleck et Gertz, 200 000 femmes s’y défendent chaque année grâce à une arme à feu.

En 1979 une étude réalisée dans 26 villes du pays – Rape Vicitimization in 26 americans cities –par le Carter Justice Department a découvert que sur 32 000 tentatives de viol, 32 % aboutissaient, mais que lorsque les victimes étaient armées, ce taux chutait à 3 %.

On me dira qu’un agresseur aux intentions lubriques possédant une arme sera d’autant plus dangereux pour une femme. Je ne nie pas la validité de cet argument.

Cependant, permettez-moi de poser le constat qu’une femme de 1 m 60, pesant 60 kg et ayant une arme à la ceinture sera beaucoup moins susceptible d’être violée par un homme armé taillé comme Hercule.

De même une femme désarmée subissant l’assaut d’un homme armé ou non, sera beaucoup plus susceptible de recevoir du secours – et ce quels que soit le lieu et l’heure – dans une nation où les honnêtes gens peuvent s’armer, que dans une nation où seules les forces de l’ordre peuvent transporter une arme, dans ces derniers cas une rame de métro bondée pouvant être un havre de paix pour un satyre…

À titre personnel, je préfère un pays où les femmes ont une arme à la ceinture pour se protéger plutôt qu’un trousseau de clé.

La seule parade utile est le citoyen armé

On me rétorquera que tout un chacun peut acquérir des armes de défense non létales, tel les Taser ou les sprays. Or il se trouve qu’une personne munie d’un spray n’a, outre qu’une portée ridicule, qu’un nombre limité de coups à envoyer à la face d’un agresseur et que les tasers ne suffisent parfois pas à neutraliser un agresseur, surtout si ce dernier porte une épaisse couche de vêtements.

Les Taser ont les mêmes défauts que les sprays : une portée qui ne souffre pas la comparaison avec une arme à feu. Ce sont des armes qui ne disposent pas de la même cadence de tir qu’un pistolet, ce qui par conséquent ne peut protéger une personne contre un groupe. Pour tout dire le taser est au pistolet ce qu’est l’arbalète à l’arc. Le choix du moyen de défense est vite fait.

Certains diront que les plus vulnérables peuvent apprendre à se défendre non pas avec des armes létales ou non létales mais à mains nues, comme semble le confirmer le regain d’intérêt pour les sports de combats.

Hélas, là encore pour les hoplophobes, les mains nues ne sauvent pas toujours, pas même les champions des disciplines de contacts. Ainsi en 2004 Kuba Tokarz, 22 ans, champion de judo polonais dans la catégorie des 81 kg, cinquième au niveau européen, fut paralysé en 2004 après avoirreçu un coup de couteau dans une rixe de bar. S’il avait eu une arme à la ceinture, quelqu’un en serait-il venu aux mains contre lui ?

Quelle solution reste-t-il donc à une personne agressée, à part le port d’arme ? La fuite ? Non, on n’en doute pas avec les invalides en fauteuil roulant, la fuite n’est pas toujours une option.

Plus proche de la condition commune, une mère de famille encombrée par sa progéniture ne peut songer à s’enfuir à toutes jambes. Mais face au danger elle peut songer à dégager une de ses mains pour exhiber son arme, voire l’utiliser.

La troisième raison de vouloir d’un droit au port d’arme est d’assurer une égalité citoyenne, parer les inégalités entre individus. Comme le disait un célèbre slogan :

Et comme nous sommes tous vulnérables face aux fourbes, abordons le sujet du terrorisme.

J’entends par terrorisme tous les actes de violence adressés à l’encontre de civils ou de militaires, qu’ils soient des coups de folie ou des actes militants.Vous vous en doutez, là encore des citoyens armés sont indispensables, ils sauvent des vies4.

J’entends déjà les remontrances : laisser les gens se défendre en pleine action c’est courir le risque de multiplier les victimes innocentes, les citoyens étant moins compétents et préparés que les autorités face au stress de l’action.

Outre le fait que les sceptiques auront oublié que les porteurs d’armes n’ouvrent le feu que dans 2 % des cas, c’est oublier que dans un État autorisant le port d’arme les citoyens se saisissant de ce droit se préparent psychologiquement à une triste éventualité – n’achètent-ils pas des armes pour défendre leur famille ?- et s’entraînent régulièrement, il s’avère une fois de plus que le scepticisme n’a pas lieu d’être.

Rappelons également que les forces de l’ordre mettent du temps à intervenir, ce qui est normal, puisque il est impossible de placer un policier derrière chaque citoyen. Ainsi le ministère de la Justice américaine signalait qu’en 1991, pour tous les crimes de violence, seulement 28 % des appels à la police furent traités dans les cinq minutes. Gageons qu’il en est de même aujourd’hui en France.

De ce fait il s’avère qu’aux États-Unis les criminels tuent moins de personnes lorsqu’ils sont arrêtés dans leur action par des civils armés plutôt que par des détenteurs de l’autorité.

En effet, lorsqu’une tuerie est stoppée par des civils déjà sur place, le nombre de victimes s’élève à 2,33 en moyenne, tandis que lorsqu’il faut attendre les forces de l’ordre le bilan est bien plus lourd : 14,295.

En ce qui concerne les dommages collatéraux, le criminologiste et législateur constitutionnel Don Kates mit en évidence le fait que la police tue davantage d’innocents que les civils : 11 % de pertes civiles innocentes lors de l’action des forces de l’ordre contre seulement 2 % lorsque ce sont les civils qui interviennent.

La position hoplophobe est de moins en moins défendable.

Nous pourrions aussi imaginer un pays de cocagne de 10 millions d’âmes paisibles, doté de 10 000 policiers n’ayant que des armes non létales, suffisantes à première vue pour gérer une nation désarmée. Ce serait oublier qu’il y a toujours des moutons noirs, qui s’arment au marché noir, ou à défaut d’armes disponibles peuvent en fabriquer. Quelle que soit l’efficacité d’une prohibition des armes légales et de la surveillance des rebuts de la société, les criminels parviendront toujours à s’armer.

Une arme en effet cela se trouve dans une cuisine – les couteaux sont des armes – ou cela se fabrique, et n’importe quel imbécile est capable de le faire. En cherchant bien vous trouverez comment faire un calibre 12 artisanal sur internet, vous verrez même des gens faire des démonstrations sur Youtube.

En somme toute la problématique de la possession et du port d’armes tient en deux questions : la question de son utilité, qui est indéniable au vu de la facilité avec laquelle les gens mal intentionnés disposent d’armes ; et la question du bain culturel dans lequel ce droit s’applique.

Mais puisque nous parlions de violences, de vols, d’inégalités et de terrorisme, parlons du contexte dictatorial qui engendre ces phénomènes.

Les fondateurs des Droits de l’Homme étaient de farouches partisans d’une nation armée.

Un droit de l’Homme

Ainsi le 18 août, le Comité de rédaction de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen écrivit cette phrase célèbre :

Il faut comprendre que dans l’esprit des révolutionnaires empêcher la nation de s’armer revenait à instaurer de nouveau des privilèges. Ainsi la séance de l’Assemblée nationale du même jour nous donne à entendre ceci :

D’ailleurs Mirabeau souhaitait inscrire ce droit dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, le proposant en tant qu’article 10, rédigé comme suit :

Hélas, les membres du Comité des cinq rédacteurs considérèrent que ce droit allait de soi, et ne l’inscrivirent pas…. « le droit déclaré dans l’article 10 non retenu était évident de sa nature, et l’un des principaux garants de la liberté politique et civile que nulle autre institution ne peut le suppléer »6.

On le comprend donc, les armes à feu sont donc utiles, non seulement pour protéger sa personne ou autrui, mais aussi pour protéger l’ensemble de la nation d’elle-même et de ses tendances serviles, ou des tendances esclavagistes d’autres populations et États.

Les armes furent perçues dès l’aube de l’humanité comme un excellent moyen de se libérer de la tyrannie et, inversement, le fait que les populations soient armées a toujours été considéré comme une menace par les despotes7.

En France même, le port d’arme était autorisé jusqu’au 18 avril 1939, date où le gouvernement l’a interdit par décret, dans le but d’éviter une possible insurrection lors du conflit de plus en plus imminent contre le Reich. Après l’invasion, qui eût été sans doute beaucoup plus coûteuse pour l’ennemi si la population française avait bénéficié d’armes lui permettant de multiplier les poches de résistances, le régime de Vichy interdira, par la loi no 2181 du 1er juin 1941, la détention, l’achat et la vente d’armes et de munitions par les Juifs.

Les génocides et démocides ciblent toujours des populations civiles ne pouvant plus se défendre face aux États décidant de s’en prendre à elles.

Continuons sur le cas français. Après les mesures anti-juives, ce fut la loi du 7 août 1942 qui punira de mort toute personne détenant un dépôt d’armes, d’engins meurtriers ou incendiaires. Enfin la loi du 3 décembre 1942 interdira la détention et le transport de toute arme à feu et munition y compris de chasse.

En somme Orwell avait vu juste dans son « Don’t Let Colonel Blimp Ruin the Home Guard », paru le 8 janvier 1941 au Evening Standard :

  1. Pour cela nous allons utiliser – entre autres – l’étude de Gary Kleck et Marc Gertz, tous deux criminologues à la Florida State University College of Criminology and Criminal Justice ; « Armed Resistance to Crime : The Prevalence and Nature of Self-Defense With a Gun ». ↩
  2. Gary Kleck, « Crime Control Through the Private Use of Armed Force ». ↩
  3. H.P Lovecraft retranscrit parfaitement ce que l’esprit d’une personne désarmée peut subir dans un lieu où l’insécurité règne :

    « Au bout d’un certain temps, je crus entendre craquer l’escalier et les couloirs comme sous des pas, et je supposai que les autres chambres commençaient à se remplir. Pourtant, il n’y avait pas de bruits de voix, et je fus frappé du caractère furtif de ces craquements. Cela me déplut, et je me demandai si je ne ferais pas mieux de ne pas dormir du tout. Cette ville abritait des gens bizarres, et l’on avait incontestablement noté plusieurs disparitions. Était-ce là une de ces auberges où l’on tuait les voyageurs pour voler leur argent ? Je n’avais sûrement pas l’air très fortuné. Ou bien les habitants avaient-ils tant de haine pour les visiteurs curieux ? Mon intérêt évident de touriste, la fréquente consultation de la carte avaient-ils fait mauvaise impression ? Dans quel état nerveux étais-je donc pour échafauder ainsi des hypothèses sur quelques craquements fortuits ? Mais je n’en regrettais pas moins d’être sans arme. » ↩

  4. En 2008 à Winnemucca un homme entra dans un bar rempli par 300 personnes, il en tua 3 et en blessa d’autres avant de se faire abattre par un homme ayant un permis de port d’arme dissimulée. Le 20 avril 2015 à Chicago, un chauffeur Uber empêcha une tuerie de masse avec son arme qu’il portait grâce à un permis de port d’arme dissimulée.Ces faits-divers prouvent encore une fois l’efficience du port d’arme face à des individus hostiles, qu’ils soient bandits ou terroristes. ↩
  5. Source : Travaux de Davi Barker sur 28 événements. ↩
  6. Le Courrier de Provence, n°XXIX, Par Honoré-Gabriel de Riquetti de Mirabeau, page 17). ↩
  7. Hérodote nous conte ainsi au paragraphe 155 dupremier livre de son Enquête, le stratagème que Crésus inspira au souverain perse Cyrus afin de soumettre le peuple des Lydiens, alors en pleine insurrection, stratagème qui commence par un désarmement de la population.

    « CLV. Sur cette nouvelle, que Cyrus apprit en chemin, ce prince dit à Crésus : «Quand verrai-je donc la fin de ces troubles ? Les Lydiens ne cesseront point, suivant toutes les apparences, de me susciter des affaires, et de s’en faire à eux-mêmes. Que sais-je s’il ne serait pas plus avantageux de les réduire en servitude ? J’en ai agi, du moins à ce qu’il me semble, comme quelqu’un qui aurait épargné les enfants de celui qu’il aurait fait mourir. Vous étiez pour les Lydiens quelque chose de plus qu’un père, je vous emmène prisonnier ; je leur ai remis leur ville, et je m’étonne ensuite qu’ils se révoltent !» Ce discours exprimait la manière de penser de ce prince : aussi Crésus, qui craignait qu’il ne détruisît entièrement la ville de Sardes, et qu’il n’en transplantât ailleurs les habitants, reprit la parole : «Ce que vous venez de dire, seigneur, est spécieux ; mais ne vous abandonnez pas entièrement aux mouvements de votre colère, et ne détruisez point une ville ancienne, qui n’est coupable ni des troubles précédents, ni de ceux qui arrivent aujourd’hui. J’ai été la cause des premiers, et j’en porte la peine. Pactyas a offensé celui à qui vous avez confié le gouvernement de Sardes : qu’il en soit puni. Pardonnez aux Lydiens ; mais, de crainte qu’à l’avenir ils ne se soulèvent, et qu’ils ne se rendent redoutables, défendez-leur d’avoir des armes chez eux, et ordonnez-leur de porter des tuniques sous leurs manteaux, de chausser des brodequins, de faire apprendre à leurs enfants à jouer de la cithare, à chanter, et les arts propres à les rendre efféminés. Par ce moyen, seigneur, vous verrez bientôt des hommes changés en femmes, et il n’y aura plus à craindre de révolte de leur part ».

    On retrouve sans surprise la même froide logique tout au long de l’Histoire. ↩