La façade baroque de la Comédie italienne menacée par un ravalement

Arlequin fait grise mine sur le trottoir animé de la rue de la Gaîté. Le joyeux farceur du 14e arrondissement de Paris s'attriste moins de la pluie automnale que de l'avenir de la peinture d'or et d'azur qui confère depuis 1993 son charme baroque au théâtre de la Comédie italienne. La façade colorée devrait bientôt se défaire d'une partie de ses oripeaux. Non pas pour changer de tons et d'ornements, comme cette coquette adresse parisienne en avait autrefois l'habitude, mais pour redonner au premier étage du bâtiment son état d'origine. Les bleusailles enchanteresses qui encadrent le dernier repère de la commedia dell'arte en France se réduiraient alors au simple rez-de-chaussée du théâtre. «À la manière d'une vulgaire pizzeria», s'indigne Attilio Maggiulli, directeur artistique et metteur en scène de la Comédie italienne.

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Aux sources de cette nouvelle menace qui plane sur le bâtiment : un banal ravalement de façade. Celle du 19, rue de la Gaîté, qui correspond à l'entrée du théâtre ainsi qu'à un espace de stockage situé au premier étage, derrière deux fenêtres recouvertes d'une bâche aux couleurs du fronton pastel. «Le rez-de-chaussée demeure inchangé ; par contre, le 1er étage de la façade retrouvera son état d'origine», indique une lettre du 3 novembre - que Le Figaro a pu consulter - adressée par le syndic Nexity à Attilio Maggiulli. «Les fenêtres du 1er étage condamnées seront réouvertes», tandis que ses couleurs reprendront le ton laiteux du bâtiment, «en harmonie avec le reste des étages». Autant de points visant à corriger des travaux «réalisés sans autorisation préalable», précise Nexity. Et qui pourraient à terme déboucher sur une expulsion pure et simple, sans indemnités, de la troupe, s'alarme le directeur artistique du théâtre.

Une situation qui provoque l'incrédulité d'Attilio Maggiulli, près de 50 ans après la fondation, avec la comédienne Hélène Lestrade, de la compagnie théâtrale vouée à la commedia dell'arte. «C'est ridicule !», dénonce vigoureusement l'homme de théâtre. «Nous avons remporté un prix hors catégorie de la plus belle façade de boutique de Paris, en 1995. L'allure de la Comédie italienne fait partie du patrimoine de la rue de la Gaîté.» Son souvenir à la main, fièrement encadré, le metteur en scène assure qu'à l'époque de son attribution, le maire de Paris Jacques Chirac, sur le point d'être élu à la présidence de la République, lui avait promis le classement aux monuments historiques de la façade.

Cette politesse n'a jamais connu de suite effective, comme n'a pas manqué de le souligner le gestionnaire Nexity dans son courrier : «Après recherche (d'un éventuel classement de la façade, NDLR) auprès de l'urbanisme par l'architecte, il n'en est rien et les architectes de la Ville de Paris ont donné leur accord à un retour à l'état d'origine.» Une démarche confirmée par la Mairie, qui n'a pas souhaité faire de commentaire sur le dossier, en dehors du simple rappel de la procédure usuelle. «Les architectes des bâtiments de France (ABF) ont donné des indications quant à la nature des matériaux utilisés pour le ravalement. Nous avons suivi les avis et recommandations des ABF», a laconiquement répondu au Figaro la Ville de Paris.

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L'âme de la rue de la Gaîté

Une douche froide, pour la Comédie italienne. Installée dès 1980 dans le petit commissariat de police du 17, rue de la Gaîté, où dégrisèrent autrefois Modigliani et Picasso, l'institution s'était étendue au 19 en 1993, époque à partir de laquelle le théâtre a pris sa forme actuelle grâce à la reprise d'un ancien sex-shop. «L'immeuble avait perdu de sa valeur avant notre arrivée, se rappelle Attilio Maggiulli. Lorsque nous nous sommes proposé de racheter le bail du sex-shop dès 1991, les habitants étaient aux anges. Nous avons fait monter la valeur marchande du site, et c'est à cette même époque que nous avons uni la façade. Il fallait bien signifier que l'enseigne précédente et ses colifichets pour femmes avaient été remplacés par un théâtre ! Ce ne posait alors aucun problème à qui que ce soit.»

Censés commencer le 15 novembre, les travaux de ravalement n'ont toujours pas été engagés. Toilettes portatives et échafaudages au bout des bras, le seul groupe d'ouvriers arrivé devant le théâtre, a été repoussé avec l'aide d'un restaurateur voisin. Entre un syndic pressant et des pouvoirs publics absents, Attilio Maggiulli espère gagner un peu de temps. Une demande de protection au titre des Monuments historiques de la façade de la Comédie italienne a été déposée le 21 novembre, dans l'espoir de bénéficier de l'égide de l'État. Et en parallèle, une pétition a également été mise en ligne début novembre, sur la plateforme change.org, afin de mobiliser le public.

«Nous nous sentons moins seuls. Nos voisins théâtraux de la rue de la Gaîté s'en foutent complètement, mais au moins nous avons reçu un petit mot du théâtre du Soleil , du théâtre de l'Odéon …, énumère Attilio Maggiulli. On résiste !». Signée, depuis, par plus de 20.700 personnes, la pétition entend également sensibiliser la ministre de la Culture Roselyne Bachelot et la présidente du Conseil régional d'Île-de-France Valérie Pécresse à la cause de la Comédie italienne. Le metteur en scène garde toutefois peu d'espoir. Ce n'est pas la première fois que le théâtre lutte pour garder la tête hors de l'eau.

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À l'été 2020, l'antre bleuté et italien a dû son salut à la vente, pour 300.000 euros, d'un mouchoir de Marilyn Monroe, un souvenir pop autrefois passé dans la collection d'Andy Warhol et du galeriste Leo Castelli. Et début 2021, le théâtre a frôlé le rachat par les Productions de la Plume, la société de Dieudonné. Bénéficiaire d'un soutien financier ponctuel de l'État et de la Ville de Paris dans le contexte de l'aide aux théâtres privés fermés pendant la pandémie, la Comédie Italienne continue de produire tant bien que mal son spectacle du moment, Et vive la commedia dell'arte. De dix comédiens permanents, la troupe s'est progressivement réduite, depuis cinq ans, à deux personnes, tandis que l'obligation de contrôle du passe sanitaire force le théâtre à éconduire le public non vacciné. Mille concessions et précautions qui satisferaient les élus locaux, soupçonne Attilio Maggiulli.

Seul contre tous

Le sulfureux metteur en scène n'a pas la langue dans sa poche. Ni le pied au frein. Auteur de spectacles caustiques sur George W. Bush et sur Silvio Berlusconi, Attilio Maggiulli avait particulièrement défrayé la chronique en 2013, après avoir projeté sa voiture contre les grilles de l'Élysée. L'artiste préfère aujourd'hui rire de cet épisode «semi-improvisé». «J'avais picolé, la veille, avec Wolinski (le caricaturiste de Charlie Hebdo, assassiné en 2015, NDLR), en me tourmentant de la fonte de mes subventions. Lui fumait de gros cigares et m'avait dit en riant “mais va voir Hollande !”. Le lendemain, je me suis retrouvé près de l'Élysée et, sans trop y avoir réfléchi, je me suis dit qu'il fallait effectivement aller voir de plus près !».

Le directeur artistique de la Comédie italienne en est depuis convaincu, l'accident a ligué contre son théâtre une cohorte d'adversaires politiques. «À la mairie de Paris, à la Région, au ministère de la Culture, … Ils étaient tous socialistes à l'époque. Je suis devenu, à leurs yeux, persona non grata, croit savoir Attilio Maggiulli. On médit à mon sujet dans les couloirs de la mairie du 14e». Le sauvetage, début novembre, du Tango, une boîte de nuit gay du Marais, parachève l'amertume du metteur en scène : «La Ville de Paris reprend un dancing de 1997 pour à 6,7 millions d'euros plutôt que notre théâtre. C'est politique.»

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La maire de Paris concentre le ressentiment du directeur artistique de la Comédie italienne. Un sentiment partagé par les quelques passants de la rue de la Gaîté happés par la banderole résumant les récentes vicissitudes du théâtre et le risque de disparition partielle de sa façade. «Un scandale», «une bêtise incompréhensible», «une honte», se murmure-t-il ainsi devant le bâtiment, entre deux références au mouvement #SaccageParis, qui étrille en ligne la gestion actuelle de la capitale. De l'autre côté de la rue, en revanche, la longue file d'attente qui s'étire devant le théâtre Bobino, semble se désintéresser des tourments que traverse la Comédie italienne.

L'indifférence n'atteint pas Attilio Maggiulli. Non sans malice, le roi des Arlequins confie au Figaro ourdir pour le printemps prochain un spectacle consacré à Anne Hidalgo. Une scène de la pièce, déjà écrite, figurera l'actuelle édile ordonnant le ripolinage de la grotte de Lascaux et sa redécoration avec des œuvres de Paul McCarthy, l'artiste contemporain à l'origine de la statue controversée mi-arbre, mi-plug anal, exposée en 2014 sur la place Vendôme. Une fourberie facétieuse dans la plus pure tradition de la commedia dell'arte.