QI Rugby de Lavanini, Philippe Groussard Ovale Masqué décape ce Biarritz-Bayonne de légende

Par Ovale MasquéPublié le
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Au rugby, on se méfie toujours un peu des étrangers. Il y a ceux qu’on tolère plus ou moins, qui viennent toujours avec leur lot d’adjectifs tout faits : les pénibles Irlandais, les brutaux Sud-Africains, les fantasques Fidjiens, les valeureux Italiens. Et puis il y a évidemment les rosbeefs, les Anglais, ceux avec qui on peut assumer fièrement un racisme socialement acceptable. Mais le pire étranger, finalement, est-ce que ce ne serait pas celui qui nous ressemble le plus, celui qui se trouve de l’autre côté de la clôture du jardin ?QI Rugby de Lavanini, Philippe Groussard Ovale Masqué décape ce Biarritz-Bayonne de légende QI Rugby de Lavanini, Philippe Groussard Ovale Masqué décape ce Biarritz-Bayonne de légende

On a tous déjà eu un voisin qu’on détestait. Parfois pour des raisons recevables : il passe la tondeuse le dimanche matin, il écoute la musique trop fort, ses enfants sont moches et idiots. Parfois, les causes de ce ressentiment sont moins avouables : son jardin est plus grand, sa voiture plus belle. Souvent, on ne sait même pas vraiment pourquoi on ne l’aime pas. Il est juste là et ça nous énerve.

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Je ne reviendrai pas sur les origines de la rivalité ancestrale qui oppose les Biarrots et les Bayonnais. Tout a déjà été dit sur ce conflit qui passionne toute l’Euskadi, mais aussi tous les amateurs de rugby. Car même les gens dont la connaissance de la région se limite au film Mission pays basque se doivent de choisir un camp. Le rugb-hipster de base préférera supporter l’Aviron, pour son image plus populaire et parce que la Pena Baiona, c’est un peu le haka français (dans le sens où c’était sympa au début, et maintenant c’est surtout du marketing). Le vieux qui porte des polos Eden Park et passe des week-ends en thalasso choisira évidemment le BO. Quoiqu’il en soit, les deux vous casseront les couilles.

Personnellement, comme un quidam qui assiste à une bagarre dans la rue et décide courageusement de passer son chemin en sifflotant, je suis totalement neutre. Pourtant, ce derby me passionne également. C’est un peu comme à la sortie d’un nouveau film avec Dwayne « The Rock » Johnson: je suis présent dans les salles dès le premier jour, alors que je sais très bien que ça va être nul. Mieux : plus c’est nul, plus ça me plaît. Alors autant vous dire que samedi, j’ai pris mon pied comme rarement : le casting et les effets spéciaux étaient dignes du pire des nanars, comme prévu. Par contre, au niveau du scénario, c’était du Hitchcock, et ça, personne ne l’avait vu venir.

Retour sur un match déjà légendaire !

Le film du match

Tout le monde le sait, la recette d’un derby raté, c’est le respect. Respect entre joueurs, respect entre supporters, respect de l’arbitre… c’est comme mettre des anchois dans un plat, la catastrophe est assurée si cet ingrédient est présent. Première bonne nouvelle : les dirigeants du Biarritz Olympique n’ont respecté aucune règle sanitaire. Visiblement, il y a 15 000 personnes à Aguilera, dont à peu près 4 qui portent un masque. On pourrait s’en scandaliser mais, en y réfléchissant bien, ce match n’a que deux issues possibles : une défaite humiliante contre un rival ou une qualification pour une saison de branlées en Top 14. Alors bon, pourquoi penser aux lendemains et gâcher la fête ? On règlera le PV quand on aura dessoulé.

Deuxième bonne nouvelle : visiblement, aujourd’hui, on ne va pas se faire chier. Dès les premières minutes de la rencontre, on découvre deux équipes qui se livrent dans la bataille pleinement. C’est rythmé, ça tape fort et ça prend même quelques risques. Durant les premières 20 minutes, les deux équipes refusent de tenter des pénalités bien placées : on croirait assister à un match de tennis entre deux suicidaires qui auraient remplacé la balle jaune par une grenade dégoupillée.

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Mais qui dit match agréable à regarder ne dit pas forcément match aisé à décrire. Quelque part, cette rencontre m’a un peu rappelé celle entre la Nouvelle-Zélande et la France en finale de la Coupe du monde 2011 : il ne s’est presque rien passé, et pourtant c’était incroyablement épique. Toutes proportions gardées hein. Car soyons honnêtes, Jean Monribot, Tornike Jalagonia et Peyo Muscarditz n’évoluent pas vraiment dans le même sport que Richie McCaw, Thierry Dusautoir et Ma’a Nonu. Le seul joueur de cette finale 2011 qui aurait sa place sur la pelouse à Aguilera, c’est peut-être Piri Weepu. Mais le Piri Weepu d’Oyonnax, celui qui ressemblait à un vendeur de roses obèse.

On l’aura compris, sur le plan de l’engagement il n’y a rien à dire. Techniquement, c’est plus poussif. Le poids de l’enjeu et la chaleur vont venir ajouter un peu de transpiration sur le ballon, et les mouvements d’ampleur se feront rares. Globalement, les Biarrots donnent l’impression d’être les plus entreprenants, de porter davantage le ballon. Pourtant ce sont bien les Bayonnais qui se procurent les rares occasions d’essai. Ravouvou s’échappe sur l’aile avant d’être repris par Stark, qui a su garder la tête sur les épaules. Le même Ravouvou se retrouve ensuite à la conclusion de ce qu’on croit être le premier essai de la partie, mais après examen à la vidéo, celui-ci est refusé pour un petit en-avant entre Hingano et Luc.

Au final, ce sont les Biarrots qui vont ouvrir le score. Après une première tentative ratée, Gilles Bosch trouve la cible. 3-0, et ce sera le score à la mi-temps. 3 points seulement, mais à la louche déjà 7 blessés. Ce match au parfum d’antan nous ravit. Il ne manque qu’une petite bagarre pour que tout soit parfait, mais hélas elle n’arrivera jamais : il faut s’y faire, on est définitivement entrés dans l’ère où les bastons ne se déroulent plus qu’entre présidents de club et journalistes.

La seconde période débute et nous offre à peu près le même spectacle que la première. Le match est toujours tendu, féroce. On sent qu’il suffirait qu’un bon joueur fasse un bon choix pour que la situation se débloque. Mais les 30 acteurs du match semblent être possédés par une certaine forme de grâce, qui leur attribue automatiquement le QI Rugby de Tomas Lavanini. Et du tristement banal derby qui aurait pu être gagné par 3 ou 5 points d’écart, on passe au sublime, au match d’anthologie qui ne veut pas trouver son vainqueur.

Le BO obtient une touche dans les 22m des Bayonnais, mais ces derniers parviennent à stopper l’avancée du maul et à récupérer le ballon. Après une grosse poussée en mêlée, les Ciel et Blanc tentent leur première pénalité, et Lafage égalise, 3-3.

Quelques minutes plus tard, nouvelle opportunité pour les topquartoziens avec une longue séquence dans les 22. On multiplie les petits tas, on avance centimètre par centimètre, on provoque la faute de l’adversaire et, au final, on ne fait rien. Pas une attaque au large, pas une tentative de passe au pied ou de drop sur l’avantage. Pire, on ne tente même pas la pénalité quand l’arbitre revient à l’avantage. Et, au final, le BO récupère évidemment le ballon. Je commence à comprendre : en fait, personne ne souhaite gagner ce match, tout le monde veut aller en Pro D2 pour pouvoir jouer deux derbys par an l’année prochaine.

Le chrono tourne, on est déjà à la 75e minute lorsque les Rouge et Blanc obtiennent une pénalité bien placée. James Hart, cet homme qui possède le faciès d’un villageois affamé dans un film se déroulant au Moyen-Âge, la tente. C’est raté.

Au tour des mangeurs de jambon d’obtenir une balle de match, après une nouvelle pénaltouche. Le ballon porté est stoppé à 5 mètres de la ligne. Lafage est positionné pile dans l’axe, pour un drop qu’il peut passer dans un fauteuil – un vieux fauteuil rouillé avec des clous, parce qu’on joue un derby et la survie en Top 14, mais un fauteuil quand même. Le ballon ne lui parviendra jamais dans les mains.

Au final, arrive ce qui devait arriver : Steffon Armitage, incarnation humaine de « Chipeur arrête de chiper » de Dora l’Exploratrice, réussit à gratter le ballon (ah, cette sale manie de mettre ses mains partout). Pénalité. Quelque part, dans une cuisine bayonnaise, un chef étoilé prépare une recette savoureuse pour permettre aux joueurs bayonnais de dévorer leurs propres testicules. Mais, avant de passer à table, il y a d’abord la prolongation.

Sachant que tous les acteurs de cette rencontre avaient déjà totalement perdu leur lucidité au bout de la 12e minute, je vous laisse imaginer à quoi peuvent ressembler ces 20 minutes supplémentaires. À ce moment là, la star du match devient logiquement l’arbitre Alexandre Ruiz, le seul homme sur la pelouse assez fit pour encore avoir toute sa tête. Sur chaque action, il y a 22 fautes de chaque côté, et c’est à lui de décider laquelle mérite le plus un coup de sifflet.

Sur un maul biarrot, c’est un joueur Ciel et Blanc qui est sanctionné. Nouvelle pénalité pour Hart, qui cette fois, trouve la cible. 6-3 pour Biarritz. Quelques secondes plus tard, c’est Vincent Pelo qui commet une faute idiote et flagrante. L’occasion de se souvenir que ce joueur a obtenu deux sélections avec le XV de France, alors que son existence même est une insulte à la notion d’hygiène de vie. Ah, les années PSA ! Nouvelle pénalité pour Hart, qui manque l’occasion de faire le break.

La première période de 10 minutes se termine. Après une interruption aussi rapide qu’un passage du Castres Olympique en Coupe d’Europe, le jeu reprend. Sur le coup d’envoi, Aymeric Luc saute plus haut que tout le monde et passe à deux doigts de gâcher ce match en faisant quelque chose d’inacceptable, marquer un essai. Heureusement, il est projeté en touche.

Le spectacle tragi-comique se poursuit lorsque James Hart se fait contrer sur un dégagement. Mais par un de ses propres coéquipiers. Cela permet aux Bayonnais de récupérer un ballon dans les 22m, juste en face des poteaux. Dyer tente de gratter le ballon mais le fait illicitement. Gaëtan Germain (qui jouait ce match, il a fallu 93 minutes pour qu’on s’en rende compte) prend les poteaux et égalise, 6-6. Plus aucun point ne sera marqué et, comme on commençait à s’en douter un peu, tout va se jouer lors d’une séance de tirs au but cruciale.

Et là vous me dites, qu’est-ce qu’il y a de plus con que des tirs aux but au rugby ? À part le rugby lui-même, difficile de répondre. Au foot, il y a une vraie tension, un duel psychologique qui s’engage entre tireur et gardien de but à chaque tentative. Au rugby, on sait que personne n’est assez nul pour rater une pénalité en face à 22 mètres des poteaux. À part les gars du 5 de devant évidemment, qui doivent revivre leurs traumatismes enfantins, à l’époque où ils se cachaient derrière leurs trousses pour ne pas être interrogés au tableau.

La vérité, c’est qu’il faudrait réformer les tirs aux but au rugby, mais qu’on y pense jamais parce que ça n’arrive une fois que tous les 15 ans. On pourrait par exemple désigner un gardien qui serait placé entre les poteaux, en équilibre sur des échasses. Autoriser un ailier très rapide à charger le buteur. Forcer un joueur à taper tout en écoutant une analyse technique de Sébastien Chabal diffusée sur le grand écran. Je sais pas, mais il y a forcément un truc qu’on pourrait trouver pour pimenter pour rendre ça plus palpitant qu’un bête Challenge Jean-Marc Doussain.

Bon, comme dirait Faf Larage, pas le choix faut y aller. Les premiers buteurs s’élancent. Germain, Hart, Ordas, Barry, Rouet, Couilloud, Costossèque, Muscarditz et Saili réussissent tous leurs tirs sans trembler. On entre donc la zone « mort subite » où les nuls vont buter. On se rapproche fatalement du moment où un pilier bedonnant va envoyer une saucisse directement dans l’Adour. Mais c’est alors qu’un héros sans cape s’avance. Un jeune ailier bayonnais talentueux, dont je ne citerai pas le nom ici car on va suffisamment l’emmerder pendant les 40 prochaines années, décide de rater sa tentative et d’endosser le rôle de martyr pour soulager ses avants. Derrière, le capitaine biarrot Steffon Armitage ne laisse pas passer l’occasion et envoie le cuir entre les perches. Biarritz remonte en Top 14, Bayonne descend en Pro D2.

Mais finalement, tout ça, c’est presque anecdotique. Car comme le disent si bien les gens qui veulent se donner l’air intelligent et philosophe, l’important ce n’est pas la destination, c’est le voyage. Alors merci aux Biarrots et aux Bayonnais pour ce voyage dans le temps. Pendant plus de 100 minutes, nous avons visité le Moyen-Âge rugbystique comme si on y était. Merci également au journaliste de Canal + Philippe Groussard, qui a donné son cœur, son âme et sa voix pour nous faire vivre ce match. Grâce à lui, on a pu ressentir des frissons devant un en-avant au contact ou une chandelle dévissée et ça, ça n’a pas de prix.

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Après toutes ces émotions, nous allons retourner à un quotidien plus banal. Les dirigeants du BO nous offriront une polémique idiote par semaine (vous noterez que la première n’aura mis qu’une heure à arriver) et le club essayera péniblement de se maintenir l’année prochaine. Les Bayonnais tenteront de se reconstruire pour la 112e fois. Jean Monribot continuera à jouer alors qu’il a 56 ans. Peut-être même qu’on reparlera encore de la fusion, qu’elle se fera, puis finalement non. La routine, quoi. De quoi passer le temps avant le prochain derby.

Vivement !

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