Under Armour, l'étoffe d'un champion

Vouloir se montrer sur un podium, pour une marque de sport, cela relève presque de l'évidence. Sauf quand ledit podium n'est pas surmonté d'un vaillant héros sportif mais se retrouve planté au milieu d'une petite assemblée de VIP ultralookés et de photographes de mode : ce jeudi, Under Armour, l'habitué des stades, a décidé de faire tomber les survêts et de s'habiller chic pour ses premiers pas sur un « catwalk ». L'équipementier américain, qui a bâti sa réputation sur des produits techniques et haut de gamme pour le sport performance, va présenter lors de la Fashion Week de New York sa première ligne de vêtements de ville : vestes, chemises, pantalons ont été dessinés par Tim Coppens, un ancien de Ralph Lauren et Adidas, récemment embauché comme directeur artistique de cette gamme baptisée « Under Armour Sportswear ».

Une nouvelle étape dans la folle course de la marque américaine : il y a tout juste vingt ans, le siège de la société était un simple sous-sol chez la grand-mère de son fondateur Kevin Plank. « Ces dernières années, c'est le seul exemple d'équipementier sportif parti de rien qui a réussi à devenir un acteur majeur », explique Cédric Rossi, analyste chez Bryan Garnier. Car, en matière de chiffres, la constante de Plank relève d'une mécanique aussi précise que celle de son presque homonyme physicien allemand : Under Armour vient d'enchaîner son vingt-cinquième trimestre avec au moins 20 % de croissance. Ses ventes sont passées de 17.000 dollars la première année à 400 millions en 2006 et devraient approcher le cap des 5 milliards cette année.

L'« underdog » sort de sa niche

Avec une capitalisation boursière quatre fois plus grosse (16 milliards de dollars actuellement), les investisseurs semblent l'avoir élu comme le nouveau challenger des deux poids lourds du sport, Nike et Adidas. Aux Etats-Unis, Under Armour est déjà au coude-à-coude avec le groupe allemand et pourrait finir l'année 2016 à la place de numéro deux du marché - derrière l'intouchable Swoosh. Mais malgré sa croissance bodybuildée, l'américain est encore un peu léger pour vraiment rivaliser sur le ring mondial : Nike et Adidas pèsent respectivement huit et cinq fois plus que lui en termes de chiffre d'affaires, avec une part du gâteau planétaire des biens sportifs de 17,2 % et 10,5 % en 2015, selon Euromonitor, contre 1,6 % pour le petit nouveau. « Je pense que cette course à deux chevaux va se poursuivre », a pronostiqué Herbert Hainer, le PDG de la marque aux trois bandes.

L'image a dû parler à Kevin Plank, lui qui possède une écurie près de Baltimore. Mais son vrai dada, celui qui lui a permis de bâtir son succès, c'est le football américain. Membre de l'équipe de l'université du Maryland, il a l'intuition que des maillots respirants en fibres synthétiques seraient plus adaptés que les traditionnels tee-shirts en coton pour supporter l'armure de protection portée par les joueurs - d'où le nom de la marque. « Je venais d'être diplômé et j'ai réalisé que je connaissais 60 gars jouant en NFL [le championnat professionnel, NDLR] », a-t-il raconté à Bloomberg. « Soit je profitais de cette fenêtre maintenant, soit je la perdais pour de bon. Je me suis demandé : y a-t-il un moyen de leur faire un cadeau qui m'aiderait aussi ? Et le cercle vertueux s'est enclenché. » L'argent récolté par sa première affaire, un service de livraison de roses sur le campus, finance les premiers modèles qu'il distribue à ses anciens coéquipiers. Le bouche-à-oreille l'amène à sponsoriser sa première équipe pro dès l'année suivante et à faire une apparition à Hollywood en 1999 dans le film de référence sur le foot US, « L'Enfer du dimanche ».

Under Armour, l'étoffe d'un champion

Décliné à d'autres sports, ce positionnement sur la performance, avec la validation « technique » d'athlètes professionnels, séduit le sportif amateur américain. « Under Armour a créé sa propre niche d'équipements de pure performance pour la consommation de masse », estime Adeline Ho, chez Euromonitor. Aujourd'hui, l'« underdog » veut sortir de sa niche : près de 90 % de ses ventes sont réalisées aux Etats-Unis et, même si le pays est le plus gros marché du monde des biens de sport, son expansion passera par des excursions hors de son jardin. L'aventure dans le « lifestyle » avec la gamme Under Armour Sportswear (UAS) entre dans cette stratégie. Le groupe a aussi signé des accords avec des grands distributeurs américains pour « sortir » des magasins de sport. Une façon d'atteindre de nouveaux publics et d'aller braconner sur les terres des géants de l'habillement comme H&M et Uniqlo, qui se sont mis ces dernières années à proposer des vêtements de style sportif, mais pas du tout destinés à la pratique sportive.

« Jeunes, agressifs et audacieux »

Sauf que le chemin n'est pas sans pièges. Certains grands noms du sport y ont trébuché : Puma se relève seulement de son virage trop brutal vers le « lifestyle » effectué dans les années 2000 et se bat aujourd'hui pour regagner ses galons de sportif - la clef pour rendre le pari gagnant. « Même dans le segment "lifestyle", les performances d'une marque dans le sport restent importantes aux yeux des consommateurs et lui donnent sa crédibilité », assure Cédric Rossi. Under Armour a retenu la leçon : la gamme UAS ne sera présente qu'aux Etats-Unis dans un premier temps. « Elle ne sera pas lancée à court terme en Europe, affirme Olivier Genoud, le directeur marketing et « business development » sur le Vieux Continent. Ici, nous nous concentrons sur l'aspect performance pour établir la marque. C'est notre zone de croissance la plus rapide, et les trois pays majeurs pour nous sont la Grande-Bretagne, la France et l'Allemagne. »

Pour se départir d'une image très marquée par les sports « américains » (football US, baseball...), le groupe se place dans des disciplines plus « européennes » comme le rugby - il fournit l'équipe nationale galloise, l'ASM Clermont, les London Wasps - et le football (Tottenham, Aston Villa, Southampton). Reste que, au Royaume-Uni, là où sa percée transatlantique est la plus concrète, Under Armour est encore hors du Top 10 des ventes. Mais sa renommée grandit rapidement et les dirigeants de la marque ont souvent le nez creux dans leur choix de sponsoring - la chance des débutants, raillent certains concurrents. A l'image du basketteur Stephen Curry ou du golfeur Jordan Spieth, plusieurs de « ses » athlètes, méconnus au moment de signer leurs contrats, sont devenus des stars mondiales.

Faute de disposer de la puissance de frappe de ses grands rivaux, Under Armour se concentre sur des sportifs « jeunes, agressifs et audacieux » - une formule de Jordan Spieth devenue un mantra au sein de l'entreprise. Il a même réussi à s'imposer sur la photo des derniers JO, malgré l'intolérance du Comité international Olympique pour tout ce qui n'est pas un partenaire officiel, en équipant plusieurs figures marquantes : Michael Phelps, Andy Murray ou la nouvelle coqueluche de la gymnastique Simone Biles (avec une tenue composée de 5.000 cristaux Swarovski).

Mais bâtir une notoriété mondiale coûte cher et ses dépenses marketing grimpent en flèche (+20 % au dernier trimestre). Ce qui pèse sur ses marges et pourrait affecter sa capacité à proposer des produits innovants. D'autant plus qu'il doit continuer à développer une autre arme sur laquelle il a misé 700 millions de dollars : sa plate-forme Connected Fitness, qui mêle réseau social, applications de coaching et de santé, et capable déjà de « dialoguer » avec certaines de ses chaussures intelligentes.

En chiffres

Chiffre d'affaires 2015 3,96 milliards de dollars (+28,5 %). Consensus des analystes pour 2016 : 4,94 milliards.

Résultat net 232,6 millions (+11,8 %).

Effectifs 13.400 employés fin 2015. Le siège du groupe est installé à Baltimore, dans le Maryland, et le fondateur, Kevin Plank, est toujours aux commandes.

Part de marché mondial 1,6 % en 2015, contre 0,6 % en 2010. Il occupait alors la 6e place du secteur des équipementiers sportifs (source : Euromonitor).

Répartition du chiffre d'affaires par catégories de produits : vêtements (71 %), chaussures (17 %), accessoires et licences (11 %).

87 % de ses ventes sont réalisées en Amérique du Nord.

Under Armour s'est introduit en Bourse en novembre 2005. aujourd'hui, sa capitalisation boursière s'élève à 15,6 milliards de dollars.