Les Afghans tentent de s’adapter à leur nouvelle vie sous les talibans

(Kaboul) « C’est comme une apocalypse » : cette jeune Afghane s’est risquée pour la première fois dehors lundi à Kaboul et a encore du mal à en croire ses yeux.

Publié le 25 août 2021Agence France-Presse

Les rues qui fourmillaient auparavant de vie sont d’un calme qui tranche avec le chaos absolu de l’aéroport, d’où se poursuivent les évacuations de ceux qui veulent fuir le nouveau régime taliban.

Les femmes se terrent chez elles, mais la plupart, quand elles sortent, portent toujours le hijab, un voile découvrant le visage. « Les gens sortent et rentrent chez eux le plus vite possible », remarque la jeune fille, âgée de 20 ans.

Elle ne peut plus aller à l’université, d’où les femmes sont selon elle bannies en attendant qu’il soit possible de les y séparer des hommes. « C’est une décision stupide, car nous n’avons pas assez de (femmes professeures) », souligne cette activiste.

Elle se retrouve aussi sans travail, la banque qui l’employait ne laissant pas encore revenir les femmes, par précaution.À court de nourriture, elle s’est finalement résolue à sortir avec sa mère lundi, plus d’une semaine après la prise de pouvoir des talibans.

Sur les murs de la capitale, les affiches de femmes ont été arrachées, ou badigeonnées, sauf « celles qui étaient trop hautes », rapporte-t-elle. Certains salons de beauté et de coiffure restent ouverts.

« J’aimerais bien que (les talibans) s’en servent eux-mêmes, ils ressemblent à des monstres », glisse-t-elle avec espièglerie.

Les Afghans tentent de s’adapter à leur nouvelle vie sous les talibans

La musique s’est arrêtée à Kaboul. Mais des enfants jouent toujours dans les rues et « ce n’est pas aussi mal qu’imaginé » pour l’instant, reconnaît-elle malgré tout.

« Le business de la peur »

Les talibans n’ont pas encore formé de gouvernement ni instauré de lois régissant exactement ce qui sera autorisé ou non.

« C’est le business de la peur. Ils n’ont pas d’armée pour contrôler les gens. Mais la peur contrôle tout le monde », observe un jeune banquier de Kaboul.

Sous le vocable de talibans se regroupent des gens bien différents, note-t-il cependant. « Certains groupes se comportent bien avec la population », mais d’autres n’en font qu’à leur tête, comme ceux qui mangent dans les restaurants sans payer.

À Khost, dans le sud-est du pays, les islamistes semblent plus conciliants, peut-être parce que la région, plus conservatrice que la capitale, leur est acquise.

« La situation est revenue à la normale. La circulation a ralenti, mais beaucoup de magasins ont rouvert, les filles et garçons vont à l’école comme avant »,raconte un humanitaire.

« Mais les gens s’inquiètent, car il faut que les services publics soient relancés pour subvenir aux besoins de la population […] Beaucoup de gens ont perdu leurs emplois et ont peur pour l’économie », relève-t-il.

Il est allé dans un magasin de vêtements pour les femmes de sa famille, mais aucune femme n’y était visible.

L’attitude des talibans est bien plus souple que ce à quoi les gens s’attendaient. Ils pensaient que les talibans seraient les mêmes qu’avant, mais ce n’est pas le cas «», assure-t-il toutefois.

Il est allé à un mariage ces derniers jours, et il y avait des chanteurs et danseurs. « J’ai dansé avec de nombreux amis », sourit-il.

« Ils n’ont pas l’argent »

À Kunduz, dans le nord, seules les femmes sont autorisées à jouer de la musique ou chanter pour les mariages, selon un entrepreneur local. Mais il ne peut y avoir ni musiciens ni chanteurs, le son doit être préenregistré.

Au marché, les talibans énoncent certaines règles à l’aide d’un haut-parleur. Certaines sont déjà connues, car la province de Kunduz était sous leur coupe bien avant que la ville puis le pays ne tombent.

La ville est dévastée par des semaines de combat. Les bâtiments sont détruits, les stocks des vendeurs de rue ont été dérobés ou saccagés.

« Certains ont commencé à reconstruire leurs magasins, mais pas les maisons, car les gens ont fui et ne sont pas encore revenus, ou ils n’ont pas l’argent pour cela », note l’entrepreneur.

La ville s’est en partie vidée de ses élites éduquées et ses jeunes, qui « ont peur, car il n’y aura plus de donateurs internationaux pour financer des projets de développement ou d’éducation », dit-il.

Nombre de femmes professeures sont parties, alors qu’elles sont plus nécessaires que jamais, les hommes n’étant pas autorisés à enseigner aux filles, qui sont retournées à l’école et au lycée.

Lui-même a dû fermer sa boîte de produits cosmétiques, car les gens, inquiets pour l’avenir, devant notamment la hausse des prix, n’achètent plus que les denrées de base : du riz, des pommes de terre, du pain.

« Les gens ne mangent même plus de fruits. Ils pensent qu’il faut économiser, car il ne sera plus possible de gagner de l’argent dans le futur , constate-t-il. »« Ils n’utilisent même plus de savon ni de shampoing. »