Entrevue avec Roland Lescure Loin de Montréal, près des tabous…

L’ancien vice-président de la Caisse de dépôt et placement du Québec dresse le bilan (provisoire ?) de son aventure politique en France

Publié le 17 nov. 2021Jean-Christophe Laurence La Presse

Les lieux de travail se suivent et ne se ressemblent pas pour Roland Lescure.

À Montréal, l’ancien no 2 de la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) avait des bureaux bien isolés avec vue imprenable sur le pont Jacques-Cartier.

À Paris, ses fenêtres donnent sur les murs de l’édifice en face, dans un local très ancien et beaucoup plus frisquet.

Mais pour rien au monde il ne changerait de boulot.

S’il admet avoir quitté la Caisse « sur un coup de tête », Roland Lescure se sent aujourd’hui bien à sa place comme député de La République en marche (LREM) en France. Au point même de publier ces jours-ci un essai (Nos totems et nos tabous, dépassons-les !) dans lequel il rend son propre diagnostic sur les enjeux qui freinent son pays.

« J’avais des choses à dire de par mon expérience professionnelle et politique », résume l’homme de plus de six pieds, qui nous reçoit en bras de chemise et sans cravate, dans son bureau de la rue de l’Université, à deux coins de rue de l’Assemblée nationale.

Suivre Macron

Économiste de formation, Roland Lescure a vécu 10 ans au Québec, où il s’est fait connaître comme vice-président de la CDPQ.

Même si son passage a été couronné de succès, il n’a pas hésité à tout lâcher pour suivre Emmanuel Macron dans son aventure politique, laissant derrière lui sa famille et « un job [qu’il] adorai[t] ».

En 2017, il se présente comme candidat de La République en marche et est élu député de la 1re circonscription des Français de l’étranger (Canada et États-Unis), siège qu’il occupe toujours aujourd’hui.

Entrevue avec Roland Lescure Loin de Montréal, près des tabous…

Les premiers mois seront difficiles. Roland Lescure doit se réadapter à la France et comprendre les règles d’un jeu qu’il connaît mal. Le milieu politique est un autre univers que les milieux financiers.

« Quand vous êtes no 2 de la CDPQ, vous avez de l’impact. En général, quand vous appuyez sur un bouton, il se passe quelque chose. Mais quand vous êtes un des 577 parlementaires de l’Assemblée nationale, ce n’est pas toujours le cas… La courbe d’apprentissage a été pentue », admet-il.

Cinq ans plus tard, il semble toutefois avoir trouvé ses repères. En tant que président de la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, il se dit satisfait d’avoir « poussé » certaines lois sur l’énergie, l’alimentation, le logement et l’égalité homme-femme dans les entreprises.

Roland Lescure ne cache pas que son séjour au Québec a influencé sa méthode. Qu’il possède une façon « moins verticale » de gérer les organisations, un côté plus informel et une efficacité plus nord-américaine.

« Je suis très orienté résultats, dit-il. La manière dont je pilote ma commission est plutôt appréciée [et je suis perçu] comme quelqu’un qui sait aller à l’essentiel et ne pas perdre trop de temps en palabres. »

Totems et tabous

Son séjour au Québec transparaît aussi dans Nos totems et nos tabous, dépassons-les !, livre-constat dans lequel il plaide pour une France rassemblée.

Rentré chez lui en 2017, avec une vision « plus pragmatique » du monde, Roland Lescure dit avoir été choqué par les divisions qui teintent la vie sociale et politique en France.

Les débats verbeux et les disputes improductives gênent selon lui la progression d’un pays pétrifié par ses « totems et tabous ». Parmi ceux-ci, la figure du général de Gaulle, le rapport à l’argent, l’écologie, l’aide médicale à mourir, le cannabis et la réforme des retraites, sujet auquel l’ex-VP de la Caisse est forcément plus sensible.

Ce qui me frappe, c’est notre capacité à nous chicaner sur des détails plutôt que d’aborder les enjeux de fond.

Roland Lescure

Adepte du « en même temps » si cher à Emmanuel Macron, Roland Lescure se dit convaincu que la solution se trouve au centre et non dans les extrêmes. Dans le compromis et non la polarisation. Il vante entre autres le modèle québécois, « capable de générer le meilleur des deux mondes », avec sa vision sociale d’inspiration européenne et son rapport à l’entrepreneuriat résolument américain.

Il ne doute pas un instant qu’Emmanuel Macron soit l’homme « idoine » pour trouver cet équilibre dans l’Hexagone. À moins de six mois de la présidentielle, il estime en revanche que la victoire de son chef est loin d’être acquise et affirme que tout peut encore arriver.

Dans le cas de sa réélection, le suivrait-il pour cinq autres années ?

Il répond qu’il n’en sait rien. Mais ses yeux disent le contraire. Tout comme son livre, qui a parfois des allures de programme pour le prochain quinquennat.

Et la Caisse ?

On n’allait pas quitter Roland Lescure sans parler de la CDPQ.

Entre le projet du REM et ses nouvelles orientations écologistes, la Caisse n’a pas chômé depuis son départ en 2016. On est curieux de savoir ce qu’il pense de ces derniers développements.

Mais en bon politicien, l’ancien VP de la Caisse préfère se garder une petite gêne. « S’il y a quelque chose que je déteste, c’est bien les gérants d’estrade », dit-il.

À force d’insistance, il concède que la France aurait « des choses à apprendre » sur la manière de combiner capital privé et capital public pour le financement d’infrastructures publiques, comme dans le cas du REM, projet auquel il a d’ailleurs été mêlé à ses tout débuts.

« Mais je n’irai pas plus loin, conclut-il, si ce n’est en tant que citoyen de Montréal, qui est très impatient de pouvoir relier Montréal-Trudeau au centre-ville…

« Mais ça, je pense que je ne suis pas le seul ! »

Roland Lescure participera à une causerie à la Librairie du Square, à Outremont, le lundi 22 novembre.