Mode: Kenzo, en direction de la génération Z ?

C’est clair depuis une poignée d’années déjà : pour être bankable dans la mode, avoir la science du vêtement ne suffit plus, il faut aussi pouvoir se targuer d’une surface médiatique alimentée par les réseaux sociaux, en particulier ceux qui parlent aux jeunes et très jeunes (Instagram et TikTok). La toute récente nomination de Nigo à la direction artistique de Kenzo (groupe LVMH) en apporte une preuve supplémentaire.

Hyperactif

Si son nom n’est pas forcément connu en France, ce «boomer» (il a 50 ans) est une star au Japon et dans la galaxie du streetwear. On lui doit notamment A Bathing Ape, label de vêtements fondé en 1993 et très prisé des adolescents. Baskets, t-shirts, hoodies, baggys, imprimé camo (camouflage), logo très identifié (une tête de singe en échos à la Planète des singes) : Nigo (de son vrai nom Tomoaki Nagao) a décliné avec succès le lexique du streetwear de luxe. Il a revendu «Bape» en 2011 pour quelque 2,8 millions de dollars (environ 2,4 millions d’euros) et lâché cette affaire en 2013. Sans pour autant lever le pied, ce n’est clairement pas son style, plutôt porté vers l’hyperactivité et la collab’ (collaboration) tous azimuts : avec Pharrell Williams pour les marques Billionaire Boys Club et Ice Cream ; avec Uniqlo ; avec Adidas, Coca-Cola ou Levi’s (entre autres) avec son label suivant, Human Made ; avec Virgil Abloh chez Louis Vuitton, Abloh le citant comme une de ses références.

Du coup, sa nomination apparaît comme un coup double : après le Portugais Felipe Oliveira Baptista, remercié en juin après avoir succédé deux ans au duo américain Humberto Leon et Carol Lim, la marque Kenzo renoue avec ses racines japonaises, se réinscrit ostensiblement dans le sillage du fondateur Kenzo Takada, mort début octobre 2020. Ce que l’impétrant a d’ailleurs souligné dans le communiqué annonçant sa nomination, moult «san» (Monsieur) à l’appui : «Je suis né l’année où Takada Kenzo san a ouvert son premier magasin à Paris. Nous avons tous deux été diplômés de la même école de mode à Tokyo. En 1993, l’année où Kenzo a rejoint le groupe LVMH, j’ai commencé ma carrière dans la mode. L’approche de Kenzo san pour créer l’originalité passait par sa compréhension de nombreuses cultures différentes. C’est aussi l’essence de ma propre philosophie de la créativité. Hériter de l’esprit de l’artisanat de Kenzo san pour créer un nouveau Kenzo est le plus grand défi de mes trente ans de carrière, que j’ai l’intention de relever avec l’équipe.»

Promesse de buzz

Mode: Kenzo, en direction de la génération Z ?

Sidney Toledano, président-directeur général de LVMH Fashion Group, a posé la feuille de route : «L’arrivée d’un créateur japonais extrêmement talentueux va nous permettre d’écrire une nouvelle page de l’histoire de la maison que Takada Kenzo a fondée. Je suis convaincu que la créativité et l’innovation de Nigo ainsi que son attachement à l’histoire de la maison permettront d’exprimer pleinement tout le potentiel de Kenzo.» Quelle sera cette page ? La précédente a été trop brève à notre goût : avec Felipe Oliveira Baptista, une subtilité s’installait, plus poétique que marketing, on se disait qu’il y avait une vie au-delà du motif tigre martelé ad libitum, que Kenzo pouvait sortir de la case «pour kids» tout en conservant sa vitalité originelle. Cette mue était intrigante, élégante et subtile. Mais elle s’est faite en pleine explosion du Covid, pendant la vie entre parenthèses. La nomination de Nigo correspond à la reprise et elle est une promesse de buzz, d’efficacité raccord avec la tendance. On entrevoit la tentation du gimmick à destination de la très convoitée génération Z (née à partir de 2000). Puisse-t-elle être irriguée par la spontanéité et l’inclusivité que diffusait Kenzo san.