La culture sera-t-elle essentielle quand viendra l'addition de la pandémie ? Le Moment musical

L’une des grandes questions de cette rentrée, alors que les salles ont rouvert leurs portes et que le spectre d’une nouvelle vague semble s’estomper petit à petit, c’est le retour de boomerang économique qui va toucher le monde de la culture et la société civile. Qui va payer l’addition de la pandémie et comment va-t-on la payer ?

Alors que la presse soulignait la semaine dernière à quel point la finalisation du budget de la région wallonne avait été difficile, il faudra – dans les jours qui viennent – interroger les institutions sur les mesures qui leur seront demandées. Du gel de l’index des dotations à l’amputation de celles-ci, les "efforts" risquent d’être intenses et de frapper différemment les opérateurs culturels.

L’un des plus profonds mystères de ce "backslash économique annoncé" réside d’abord dans l’illisibilité des réelles épreuves traversées par les institutions. Il y a d’une part les institutions qui, pendant la crise, ont fermé leurs portes, mis leur personnel en chômage technique et ont – de ce fait – économisé sur les coûts, terminant l’exercice in bonis. D’autre part, les autres qui, au contraire – comme certaines maisons d’opéra -, avaient réalisé des investissements (commandes, construction de décors) sans pouvoir les amortir par la billetterie, vu que leurs salles étaient fermées. Les réalités sont multiples et l’après-crise ne sera pas la même pour tout le monde, car la crise elle-même n’a pas été la même pour tout le monde.

Les plus grands économistes sont eux aussi partagés. Entre le camp Draghi qui assume la création d’une dette encore plus colossale comme seul remède à la catastrophe planétaire, d’autres – plus sceptiques – parlent déjà d’une nouvelle phase d’austérité. La réalité du terrain étant que désormais, une phase d’austérité succéderait à une phase d’austérité, et ainsi de suite, jusqu’à ce que le monde de la culture déambule dans le désert des Tartares.

Il faudra désormais scruter les signes et les symptômes de l’impact économique de la pandémie. Le premier et le plus clair d’entre eux vient de se mettre à clignoter à Paris, d’une lumière aveuglante : le projet de salle polyvalente de l’opéra Bastille, entamé dans les années 80 et dont la finalisation des travaux avait été relancée il y a quelques années, vient de connaître un coup d’arrêt final.

L’Opéra de Paris, frappé par une longue période de grèves, puis par la pandémie, vient de reconnaître qu’économiquement, il n’y arrivera pas. Et les pouvoirs publics non plus. Les dizaines de millions déjà dépensés sont perdus, un immense cratère de béton restera à l’état de friche industrielle au cœur de l’un des plus grands opéras d’Europe. Doit-on pour autant crier à la gabegie, vitupérer contre l’incurie de ces hommes de pouvoir qui dépensent sans compter l’impôt des citoyens ? Non, car le projet faisait sens, répondait à de réels besoins sociétaux, son modèle économique était étrange mais réaliste dans l’ère pré-covid. Simplement, aujourd’hui, il ne l’est plus.

A cela, s’ajoute que la culture connaît aussi une forme de COVID-long. Les salles ont rouvert, mais se remplissent-elles pour autant ? Là aussi, l’équité n’est pas de mise. Certains spectacles sont pleins, d’autres sont vides. Les indicateurs prévisionnels de succès d’une soirée de concert ne sont plus les mêmes, les institutions naviguent à vue. Là, le concert d’un grand ténor est désert, ici le concert d’un orchestre symphonique est plein. À l’opéra de Bordeaux, une création mondiale vient d’avoir lieu devant des salles presque vides, l’un des ténors de la production s’inquiétant de chanter devant 150 personnes dans une salle qui peut en accueillir mille.

Une chose est sûre, en France, les femmes et les hommes de culture répètent un mot comme un mantra : essentiel. Souvenez-vous, la culture n’avait pas figuré parmi les activités essentielles de l’espace pandémique. Les musées, les salles de concert avaient fermé, comme les restaurants, les coiffeurs et les salles de fitness. Et s’il y a demain une grande crise économique, y aura-t-il aux réunions de budget, en Belgique, en France, des élus pour défendre le caractère véritablement essentiel de la culture ? Cela, nous commencerons à y voir plus clair dans les mois qui viennent, mais il faudra peut-être le marteler, ce mot : essentiel. Totalement essentiel.