Crise des sous-marins : la presse anglo-saxonne dénonce une « subordination croissante » du Royaume-Uni

La décision de l’Australie de mettre fin au « contrat du siècle » avec la France pour douze sous-marins à propulsion conventionnelle et l’annonce presque simultanée d’une nouvelle alliance entre les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l’Australie dans la zone indo-pacifique ont ouvert une brèche, mercredi 15 septembre, dans les relations diplomatiques entre ces pays. La France, qui voit un contrat à plusieurs milliards d’euros échapper à son industrie navale, a immédiatement dénoncé un « coup dans le dos » et a rappelé ses ambassadeurs à Washington et Canberra.

Depuis, la crise fait la « une » des journaux français. Les médias étrangers sont moins prolixes sur l’affaire, mais ces sous-marins décommandés et cette nouvelle alliance, nommée Aukus (pour les initiales anglo-saxonnes des pays engagés) sont le sujet de plusieurs chroniques, analyses et éditoriaux. Toutefois – et contrairement à l’idée qu’on pourrait s’en faire –, ces articles appellent surtout Britanniques et Australiens à la prudence, et sermonnent même, à demi-mot, les méthodes américaines.

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Aux Etats-Unis, le New York Times estime ainsi que le président Joe Biden « s’est mis à dos un allié européen important », en écartant la France de cette alliance destinée à contrer la montée en puissance de la Chine dans la région. Et de rappeler que les réunions à venir à Washington – M. Biden doit rencontrer le premier ministre britannique, Boris Johnson, avant de recevoir, vendredi, les membres du Quad, un partenariat informel des Etats-Unis avec les Japonais, les Australiens et les Indiens – risquent de renforcer le sentiment français que, « dans un siècle tourné vers la Chine, les alliés historiques d’Europe continentale sont moins importants ».

Des « relations diplomatiques vitales » endommagées

Le Wall Street Journal n’est pas moins critique au sujet du comportement américain : « Bien que [Joe Biden] ait su ménager un plus grand nombre d’alliés traditionnels des Etats-Unis que Donald Trump, il a également réussi à endommager des relations diplomatiques vitales et, dans le cas de la France, à exposer de nettes différences dans la manière de confronter la Chine. » De son côté, le Washington Post fournit une analyse plus américano-centrée. Selon son journaliste, l’Australie ne fait ainsi que « calquer, en quelque sorte, sa stratégie chinoise sur celle de Washington ». Le Royaume-Uni quant à lui espère « prouver ses capacités après le Brexit [et] se réjouit de [ne] jouer [que] le rôle du partenaire junior ». Et de conclure sobrement par une citation du directeur d’un think-tank australien : « Il est assez peu surprenant que des démocraties comme l’Australie et le Japon cherchent des solutions pour contrer la montée de la Chine. (…) Les Etats-Unis sont indispensables dans tous ces plans. »

Critiques du comportement américain, les médias étrangers mettent aussi en garde l’Australie. S’il apparaît que l’île prend « un rôle central dans une bataille géopolitique majeure de cette ère », estime un journaliste du Sydney Morning Herald, un confrère du même journal affirme toutefois que le président français Emmanuel Macron « a de bonnes raisons d’être en colère et déçu par l’Australie ». En l’espace d’une nuit, l’Australie est passée, pour Paris, d’un « ami et allié à une nation à laquelle on ne peut pas faire confiance », poursuit le deuxième journal du pays.

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Crise des sous-marins : la presse anglo-saxonne dénonce une « subordination croissante » du Royaume-Uni

Et d’exposer : « Le problème pour [le premier ministre australien Scott] Morrison est qu’il a déçu Macron alors que la chancelière allemande Angela Merkel se retire du pouvoir et que le président français va de facto prendre la tête de l’Europe. L’Australie n’a pas seulement engagé une bataille avec la France, mais également avec l’Union européenne. » L’UE a en effet apporté son soutien symbolique à la France mardi. A Bruxelles, siège des autorités européennes, le journal Le Soir voit ainsi l’Union « abasourdie » par les dernières déclarations américaines, britanniques et australiennes et préfère écrire sur la nouvelle stratégie européenne pour la zone indo-pacifique, ironiquement révélée au lendemain de l’annonce de la création d’Aukus.

« Fortes tendances unilatéralistes »

C’est aussi l’ire de l’Europe que les journaux craignent pour le Royaume-Uni. Après cette victoire apparente, la crise des sous-marins pourrait finalement l’isoler encore un peu plus, après sa sortie de l’Union européenne, le 31 janvier 2020. Un article du New York Times souligne ainsi « une première victoire tangible dans la campagne britannique pour faire du Royaume-Uni post-Brexit un acteur international », mais met en garde contre des Etats-Unis qui « poursuivront leurs intérêts sans sentimentalité pour ces relations » diplomatiques.

Le journaliste cite notamment la directrice du programme américain d’un institut de recherches britannique : « Le plus remarquable est à quel point les Américains en parlent si peu et les Britanniques autant. Cela dit beaucoup de cette relation spéciale [arguée par le Royaume-Uni]. Spéciale ne veut pas dire égale. »

Outre-Manche, les articles du Guardian laissent peu de place à l’analyse de la crise, et se contentent plutôt de rapporter les réactions des uns et des autres. Un éditorial promet toutefois de donner le point de vue du journal sur « les relations anglo-françaises ». L’article critique l’approche de la nouvelle secrétaire d’Etat aux affaires étrangères, Liz Truss, qui fait la promotion du nébuleux concept de « Global Britain » , lequel entend définir la place du Royaume-Uni dans le monde ces prochaines années. « Aukus met en lumière un certain nombre de problèmes avec le projet d’une “Global Britain” ; l’un d’eux étant la subordination croissante du pays aux Etats-Unis, alors même que Joe Biden montre de fortes tendances unilatéralistes », dénonce ainsi le média social-libéral.

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« Il est évident, ou devrait l’être, que l’Union européenne et le Royaume-Uni ont un fort intérêt à faire front commun dans plusieurs domaines », relève-t-il également. Et le Guardian de conclure par une interrogation : « Si une Amérique de moins en moins docile prend un chemin et qu’une Europe vexée en prend un autre, où ira le Royaume-Uni ? »

Le Telegraph, au contraire, fait ses choux gras de la crise, avançant « l’opportunité en or » offerte par la rupture du contrat français sur les sous-marins au profit de technologies américaines et britanniques et sommant Emmanuel Macron « d’apprendre à vivre avec la “Global Britain” ». Le président français s’énerverait ainsi comme un enfant – « throwing his toys out of the pram », littéralement : « jetant ses jouets en dehors du landau » – alors qu’« Aukus est une bonne idée ».

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Tous les articles consacrés à la crise des sous-marins sont disponibles dans cette rubrique.

Sandra Favier

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