Commerce international : les "born global" chamboulent les codes


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Le profil des dirigeantsLa vitesse et le « cash-flow »Le marché américain en ligne de mireUne équipe internationaleUn écosystème solidaire« Les entreprises d’aujourd’hui ne sont plus exportatrices, mais internationales »

« Entrepreneurs, allez vous faire voir ailleurs » assène depuis un mois Bpifrance à ses clients. La banque publique des entreprises, qui consacre chaque année 20 milliards d’euros d’aides à l’export, ne sait plus comment convaincre les entreprises de plonger dans le grand bain de la mondialisation. Avec un commerce extérieur en déconfiture (63 milliards d'euros de déficit, quand l’Allemagne arbore 252 Md€ d’excédent), l’État veut tout tenter pour redresser la barre. Création d’un guichet unique Export dans les régions, renforcement des filières sectorielles… Mais l’évangélisation prend du temps. L’issue viendra sans doute de la nouvelle génération d’entrepreneurs. On les appelle les born global. Parfois industrielles mais plus souvent de services, digitales mais pas toujours, elles ne rentrent pas encore dans les cases "administratives". Voici quelques-unes des caractéristiques qui les distinguent.

Le profil des dirigeants

Les born global sont souvent passés par de grands groupes. « Ce sont des passionnés, complète Delphine Cardi, expert international pour la Caisse d’Épargne Rhône-Alpes. Forts d’un premier parcours d’expatriés, ils ont aussi un solide réseau ».

À la tête de Medelpharm, Bruno Villa coche toutes les cases. La cinquantaine, ingénieur informaticien diplômé de l’Insead, passé par Compaq et Apple aux États-Unis, puis Olivetti PC à Turin, il est aussi marié à une Allemande. Sa culture est naturellement globale. Concepteur, vendeur, distributeur de simulateurs pour tester la production de comprimés (pharmaceutiques, détergents et même déchets), il comprend dès la reprise de cette entreprise que le marché hexagonal sera trop petit. Adossé à des capitaux risqueurs, il lève un million d’euros juste avant la crise de 2008, et embauche un directeur commercial France. Mais ce dernier, ancien cadre d’Air Liquide, détaché quelques années à New York, file très vite hors des frontières. Et permet à Medelpharm de trouver son marché. La SAS réalise 4,5 millions de chiffre d’affaires en 2017, est passée de 19 à 22 salariés en 2017, en recrute trois de plus cette année. Et pour cause, sa croissance grimpe de 20 à 25 % par an, portée à 70 % à l’international - en Chine, au Brésil, en Inde, en Allemagne. En 2019, une nouvelle génération de machines, plus connectée, devrait accélérer encore ses positions à travers le monde.

La vitesse et le « cash-flow »

Les entreprises des born global vont vite et doivent lever « du cash en surfinancement » pour monter des projets avec trois coups d’avance. « Car elles vont se planter, c’est sûr, mais avec plus que ce qu’il faut, elles peuvent rebondir », assure Pedro Novo, directeur du financement export chez Bpifrance.

C’est la stratégie adoptée par Gabriel Della-Monica, ancien cadre chez STMicroelectronics, fondateur en 2015 d’Hydrao, un pommeau de douche connecté. Le dirigeant a commencé par viser les États-Unis, via le CES de Las Vegas, puis s’est greffé à une mission Business France de deux mois à San Francisco. « On a ensuite reçu des demandes de plusieurs villes de la planète. Et Singapour nous a contactés. » Résultat : un contrat signé avec l’agence locale de l’eau pour équiper 10 000 logements. Joli coup pour cette « petite start-up de 7 salariés ». Depuis, Hydrao a signé une entente avec United Utilities, la compagnie des eaux anglaises. « Les standards en matière de tuyauterie et de réglementation sanitaire ne sont pas toujours les mêmes, ce qui peut représenter des surcoûts importants », tem. Et un besoin de cash important. Conséquence : après une première levée de près d’un million, Hydrao se prépare à boucler une enveloppe de 2 M€ d’ici cet été. Et espère doubler son chiffre d’affaires de 500 000 € fin 2018.

Le marché américain en ligne de mire

L'Amérique d'abord : c’est l'objectif de Yannick Mathey, fondateur de Prototypo. Ce designer freelance, incubé en 2015-2016 chez BoostInLyon, puis dans celui l’Université Jean-Moulin-Lyon 3, vise les États-Unis… puis le monde. Diplômé de l’École des Arts Déco de Strasbourg, il a développé une application qui permet à des designers de créer des marques plus remarquables, grâce à des typographies faites sur mesure. La jeune pousse a décollé en juin 2017, lorsqu’elle a, avec le calligraphe Jean-Baptiste Levée, conçu la police responsive de Google Drive. Avec 12 salariés, nichés rue du Bât-d’Argent (Lyon 2e), Prototypo est présent dans 130 pays, à travers 45 000 utilisateurs, dont 30 % sont aux États-Unis. « La France représente environ 15 % de nos clients ». Et pour cause, explique le dirigeant, « les pays anglo-saxons comprennent davantage la valeur de la typographie. Question de culture ! »

Leur levée de fonds en 2017 (700 000 euros en dilutif et non-dilutif auprès de family office comme Cofina finances et Vox Capital) doit désormais leur permettre d’investir massivement dans le marketing. La prochaine ouverture de capital en 2019 permettra d’installer des commerciaux à New York. « Pour adresser le marché américain, il faut un million d’euros minimum » approuve Pedro Novo. Le spécialiste a fait le calcul, « un commercial sur place, c’est 300 000 $. Vous ajoutez un peu de communication, deux ou trois collaborateurs et un loyer, le compte est bon ! » En attendant cette prochaine levée, l’équipe lyonnaise planche sur des typographies d’autres alphabets comme le chinois, qui compte 40 000 signes, contre 750 en latin. « Notre but : générer une typographie pour tous les langages avec un design unifié en un clic ». De moins de 100 0000 euros de chiffre d’affaires, Yannick Mathey vise 800 000 euros fin 2018.

Une équipe internationale

« Naître global est un challenge dès le départ », résume Antoine Leroy, président de Koelis (Meylan, 40 salariés), « une vieille start-up en croissance » qui a mis au point et vend un appareil d’imagerie et de navigation chirurgicale pour la prostate. Au cours des cinq dernières années, elle a cru en moyenne de 50 %, pour atteindre 4,30 M€ en 2017 dont 75 % à l’export. « Chacun de nos salariés parle au moins deux ou trois langues ». Il a aussi su tirer le meilleur de son implantation en France : « nous avons eu accès à des programmes d’aides et de crédit d’impôts à la recherche, ce qui nous a permis d’investir en moyenne 1 M€ par an depuis 10 ans ».

Pour accélérer, Antoine Leroy a tout de même dû passer par une levée de fonds d'un million d'euros en 2011, auprès d’un fonds d’entrepreneurs du secteur médical. Son principal défi ? Des réglementations et certifications qui peuvent différer au sein de chaque pays, y compris à l’intérieur de l’Europe. « Koelis avait dès le départ l’ambition d’aller à la rencontre des chirurgiens urologues qui partagent leurs savoirs au niveau mondial », résume Antoine Leroy. Avec près de 200 clients à travers 30 pays, la société s’est protégée rapidement en déposant des brevets, pour certains codétenus avec des laboratoires scientifiques, sur ses trois grandes zones d’activité : l’Europe, l’Amérique du Nord et l’Asie.

Un écosystème solidaire

La solitude des dirigeants ? Marie-Hélène Gramatikoff, dirigeante fondatrice en 2015 de Lactips ne l’a jamais connue. Installée en 2014 sur la plate-forme d'innovation collaborative "Axel'One PMI" à Saint-Fons, elle a grandi avec d’autres start-up jusqu’à prendre son envol dans son établissement stéphanois. Cette jeune pousse de 27 salariés transforme la protéine de lait (la caséine) en granulés thermoplastiques. Elle va d’ici la fin de l’année s’attaquer au marché mondial de la détergence, en particulier celui de la pastille de lave-vaisselle.

Alors que les géants livrent directement au client final, Lactips passera par des transformateurs locaux à qui il fournira la matière première. Marie-Hélène Gramatikoff, qui espère atteindre 20 M€ de CA d’ici 2020, cible, dans un premier temps, les marchés anglais, belge, mais surtout les pays du Nord de l’Europe « où il y a une appétence toute particulière pour notre produit ». Les fournisseurs mondiaux sont actuellement presque monopolistiques, et sont principalement des géants japonais, tels que Kuraray (2,5 Md$) ou encore Nippon Gohsei (1 Md$). Lactips veut s’engouffrer dans leurs failles (problèmes de dissolution de la matière à basse température et matière non-dégradable). « Dès que nous deviendrons visibles, nous devrons donc prendre toutes les places possibles pour ne pas nous faire dépasser par plus gros que nous », décrit la dirigeante.


« Les entreprises d’aujourd’hui ne sont plus exportatrices, mais internationales »

Le solde déficitaire de la balance du commerce extérieur de la France (-62,3 milliards en 2017) peut-il connaître un renversement de courbe ? Les observateurs sont circonspects. Et appellent à dédramatiser le poids de cet indice pour mieux considérer la valeur des born global.

Et s’il fallait balayer nos vieux concepts et, une bonne fois pour toute, accepter les faiblesses de la France en matière d’export ? Pour mieux valoriser nos atouts. Car les entreprises qui réussissent hors du marché domestique ne sont pas toutes exportatrices. Elles se propulsent immédiatement à travers le monde sans passer par les douanes. On les appelle des born global. Celle-ci achète une entreprise en Allemagne, celle-là s’implante à Singapour, une autre conclut une JV à Abidjian. « Une start-up française qui ouvre son bureau à New-York et attaque le marché américain ne va pas mettre ses produits fabriqués en France dans un conteneur, décrit Pedro Novo, directeur du financement export chez Bpifrance. Elle va créer une business unit, recruter, se développer. »

Désormais, les meilleurs observateurs de la balance (déficitaire) du commerce extérieur de la France se tournent vers ces born global. Ils pointent du doigt les « faibles marges dans l’industrie », un « appareil productif vieillissant », des « chaînes de production industrielle qui n’ont pas la bande passante suffisante pour investir » et estiment que l’écosystème « export français » aurait tout à gagner à reconsidérer le poids de ces born global. « L’export, c’est une notion d’il y a 15 ou 20 ans », claque Pedro Novo. D’ailleurs le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves le Drian, également en charge du commerce extérieur, le dit lui-même : la balance commerciale ne s’améliorera pas de sitôt.