La Ville met en scène le chantier de sa lutte contre l’habitat indigne dans un taudis

Quand tombent les premières feuilles et volent les étourneaux en nuée, arrive le temps de l’habitat indigne. La commémoration des morts du 5 novembre offre une fenêtre médiatique pour évoquer cet énorme chantier devenu depuis 2018 une priorité des pouvoirs publics. Au moins sur le papier. En bordure de cette fenêtre, ce jeudi, la Ville invitait la presse à une “présentation des mesures municipales contre l’habitat indigne”. Le maire est annoncé pour cette première : le Printemps marseillais s’est fait élire en présentant la lutte contre l’habitat indigne comme l’une de ses absolues priorités. Un an et demi plus tard, la Ville n’a pas encore présenté sa stratégie en la matière.

À neuf heures tapantes, Benoît Payan n’est pas au rendez-vous de la rue François-Barbini, sur les pentes de la colline Bellevue (3e). “Un imprévu à l’agenda”, indique-t-on, dans son équipe quelques heures avant que tombe le montant du premier chèque de l’État pour les écoles. L’adjoint au logement chargé de la lutte contre l’habitat indigne, Patrick Amico, Anthony Krehmeier, le maire de secteur et Aïcha Guedjali, conseillère municipale déléguée à l’insalubrité et aux nuisibles sont donc seuls à porter la parole.

Opération de com’ sur la butte Bellevue

Pour l’occasion, le service de presse a décidé de planter le décor de l’opé de com’ dans deux petits immeubles contigus de la rue du jet d’eau. Au coin de la rue, le réseau de narco-trafic dont les travailleurs ne sont pas encore levés ont inscrits le menu – shit, beuh et coke – avec les prix correspondants. Les journalistes sont invités à pénétrer par petits groupes dans ces deux immeubles qui portent les stigmates habituels de l’habitat indigne : balcons qui s’épanchent, plafonds éclatés, toits fuyards… La petite courée ouvrière est typique de l’habitat marseillais du tournant du siècle dernier. Typique de sa décrépitude aussi.

En dehors de ce décor inhabituel, il ne faudra pas attendre beaucoup de nouveauté de l’opération de communication : la Ville est là pour tirer un bilan de son action pas pour annoncer une révolution. En attendant une nouvelle répartition de compétences qui verrait le logement redescendre de la métropole à la Ville, celle-ci se concentre sur ses compétences propres, les écoles en tête de gondole.

48 millions pour les travaux d’office

La Ville met en scène le chantier de sa lutte contre l’habitat indigne dans un taudis

“48 millions ont été mis à disposition du service pour les quatre prochaines années pour réaliser des travaux d’office, explique Patrick Amico. Cette somme doit nous permettre de réaliser les travaux de mise en sécurité de manière pérenne pour qu’ensuite les propriétaires puissent réhabiliter et, à terme, les locataires revenir y habiter”. Sur ce budget, cinq millions ont déjà été dépensés pour 20 immeubles traités et 20 millions engagés, énumère l’élu. La somme peut paraître conséquente. Elle l’est en comparaison de l’inaction de l’ancienne municipalité.

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Mais ces 48 millions sont bien modestes en regard de l’immensité du chantier. Patrick Amico le reconnaît volontiers quand il fait les comptes du stock : “800 immeubles sont toujours en péril dont 200 en péril grave et imminent”. Et le flux n’est pas plus rassurant : “nous prenons environ 30 arrêtés par mois, péril simple ou imminent”. Bien entendu, sur le stock comme sur le flux, une grande majorité des copropriétaires vont mettre en œuvre des travaux sans que la Ville ait besoin de se substituer à eux.

Ces chiffres témoignent de ce que les politiques mises en œuvre depuis trois ans dans le cadre des différents dispositifs, concessions, opérations programmées… n’ont pas permis de faire régresser. Un phénomène que le rapport Nicol évaluait en 2015 à 40 000 logementd potentiellement indignes. Six ans plus tard, le potentiel est toujours là et le chiffre ne varie pas.

1400 personnes toujours délogées

Tout comme les habitants délogés de force de leur lieu de vie. Trois ans après la rue d’Aubagne, le patron de la direction de gestion et de prévention des risques, Jean-Michel Wagner énonce des chiffres glaçants : “20 familles sont toujours à l’hôtel. 120 ménages vivent dans des appart’hôtels, ce qui représente environ 250 personnes. Enfin 400 familles soit 1000 personnes habitent dans des logements temporaires en attendant leur retour chez eux. 40 familles sont dans des foyers Adoma”. En tout ce sont 1400 personnes qui vivent encore loin de leur logement, indiquent donc les services de la Ville. Et comme le dit bien Patrick Amico, “l’habitat indigne est d’abord une problématique sociale”. La nouvelle mouture de la charte du relogement que la Ville a votée en début de mois doit permettre d’accompagner les personnes frappées par cette violence.

Mais le chantier de l’habitat indigne n’est pas qu’externe. La Ville doit aussi œuvrer en son sein. Depuis 2018, la compétence logement est entièrement remontée à la métropole. “En arrivant dans ma délégation, en 2020, j’ai découvert une direction sans agents”, poursuit l’élu. 25 personnes ont donc été recrutées pour reconstituer un service.

Travaux en cours en interne

La direction de gestion et de prévention des risques est elle-même en chantier. La Ville a lancé une longue série de recrutements pour encore l’étoffer. À terme, elle doit être coupée en deux, entre la partie dévolue à la sécurité civile sous l’autorité de Jean-Pierre Cochet et la partie logement qui reste dans le giron d’Amico. 25 agents doivent également venir renforcer le service insalubrité. L’État a demandé à la Ville de renforcer ses contrôles et de prendre en charge les travaux d’office en cas d’arrêté d’insalubrité.

Alors que l’opération de presse se finit, nos pas nous mènent jusqu’à l’immeuble voisin, à la porte entre-baillée. Il n’y a pas d’électricité dans l’escalier de cette maison de ville à deux étages, visiblement fréquentée par le réseau. Une main anonyme a écrit “la frappe” au noir de fumée sur le plafond. Au bout d’un escalier branlant et sombre, on tombe sur des habits d’enfants qui pendent à un fil de fer tendu dans la cage d’escalier. On toque à la porte. Une voix répond qu’elle ne veut pas être dérangée, couverte par des cris de jeunes enfants. Tout ici respire l’insalubrité.

On profite de la présence de Patrick Amico pour l’alerter sur cet immeuble qui mérite bien une visite de ses équipes. “Ah mais vous savez, il y a 4000 immeubles potentiellement indignes à Marseille, se défend-il. Si on les visite tous, on n’a pas fini. On sait bien qu’on est face à une montagne et qu’il y en a pour des décennies…“

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