L'industrie textile du Nord croit à une relance du « made in France »

On est encore loin d'une renaissance de l'industrie textile du Nord mais ce secteur en déclin depuis des décennies frétille de nouveau. L'association roubaisienne Fashion Green Hub qui prototype des mini-séries et des collections capsules depuis 2015 avec des enseignes et des créateurs vient d'annoncer la création d'un premier atelier à Roubaix d'ici à la fin de l'année. Le projet est porté par deux distributeurs nordistes, Blancheporte et ID Group (marques Okaïdi, Obaïbi et Oxybul), et deux industriels, Tissage de Charlieu (Loire-et-Cher) et la bonneterie Lemahieu. Objectif : produire à la demande en circuit court partout en France.

Eric Mézin, délégué général de l'Union des industries textiles (UITH) du Nord confirme cette tendance au made in France. « Il n'y a pas encore de données macroéconomiques chiffrées mais on voit se multiplier les projets avec des créations d'emplois à la clé », à la faveur du plan de relance, explique-t-il. Avec 14.000 emplois dans 400 entreprises, la deuxième région textile de France après l'Auvergne-Rhône-Alpes, ne retrouvera toutefois jamais les 200.000 salariés que totalisait la filière dans le Nord et le Pas-de-Calais, mais c'est un début.

Mouton français

Ainsi les peignages Dumortier à Tourcoing viennent de lancer un programme de 3,6 millions d'euros d'investissement pour remonter un atelier de préparation d'étoupe de lin (600 tonnes par an). Il pourrait se doubler à terme d'un deuxième dédié à la laine, dans le cadre de Tricolor, projet d'envergure nationale qui a pour but de passer de 4 à 20 % le taux de transformation de la laine de mouton français dont 15.000 tonnes sont produites en France.

La société pourra ainsi fournir la future usine de Safilin, un producteur de lin, située à Sailly-sur-la-Lys, près d'Armentières. Après avoir délocalisé en Pologne en 1995, la société réimplante une filature à Béthune, suite à la demande de ses clients « souhaitant disposer d'un fil français ». Elle investit là cinq millions d'euros avec 50 postes à la clé d'ici à 2024. « Nous travaillerons pour Safilin, mais il y a deux autres projets de création de filature de lin en France : en Alsace et en Normandie, pour 2022. Ce sont de petites capacités, mais cela montre de vraies marques d'intérêt », souligne Cédric Auplat, dirigeant des Peignages Dumortier.

Des signes de réindustrialisation

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Autre signe de réindustrialisation, Dickson Constant (filiale du groupe américain Glen Raven), spécialisée dans le textile d'extérieur investit cinquante millions d'euros à Hordain près de Valenciennes. Ce nouveau site de production qui s'ajoute à celui de Wasquehal près de Lille, saturé avec ses 370 salariés, a démarré son activité en juin dernier, avec 34 salariés. Ils seront 60 d'ici à fin octobre et 150 fin 2022.

Citons aussi la future usine à jean de six enseignes textiles de la galaxie Mulliez à Neuville-en-Ferrain au nord de Lille qui doit, elle, démarrer en fin d'année. « Certains ont joué les rabat-joie rappelant que le tissu de ces jeans ne serait pas made in France, mais importé… mais c'est un début. Le tissu fait dans l'Hexagone sera la prochaine étape », espère Olivier Ducatillon, à l'UITH et patron du tissage de lin Lemaître-Demeester qu'il a repris en 2008. Lui en est sûr : « Il y a un vrai retour au made in France, un vrai mouvement du consommateur. » Il le voit dans sa propre entreprise avec trente à quarante nouvelles demandes de clients.

La Redoute, qui fait partie de ceux-ci, multiplie ainsi les collections capsules made in France. Près de 70 % des canapés d'AMPM sont faits dans l'Hexagone. Tout comme Auchan qui fait fabriquer ses sacs de courses par Les Tissages de Charlieu, vend des chaussettes made in France et va tester à la rentrée une minicollection de pulls fabriqués par la manufacture Jean Ruiz à Roanne (groupe La Manufacture De Layette). Auchan attend toutefois de voir si le client est au rendez-vous car cela peut quadrupler le prix (prix de vente moyen : 10 à 15 euros).

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D'autres font ce pari, comme L'Ascenseur, spécialiste de l'uniforme de travail (groupe Protecthomes) localisé à Merville. La PME y confectionne une partie de ses collections et le reste en Tunisie. Mais elle vise une relocalisation en France d'ici à 2025. « Cent pantalons confectionnés en France génèrent cinq tonnes de CO2, contre 25 tonnes en Tunisie et 36 tonnes en Chine », souligne Pascal Lairy, le dirigeant. Il espère que ses clients arriveront à convaincre le consommateur final que fabriquer en France est cinq à sept fois moins consommateur de carbone. « C'est un pari sur une prise de conscience du marché », ajoute-t-il.

Couturières

Autre entreprise qui relocalise, Lener Cordier, à Hazebrouck, une des dernières entreprises françaises de confection de manteaux, a testé en novembre dernier une collection capsule pour homme 100 % made in France, qui a bien marché et du coup réitère avec quelques modèles féminins en précommande. La PME a investi 600.000 euros dans du matériel et recruté six nouvelles couturières depuis un an. Car la difficulté de toutes ces PME est d'arriver à recruter. La plupart ont souvent créé leur propre école de formation, en attendant la première promotion de l'Epic (Ecole de production industrielle de couture et confection) qui ouvre en septembre à Roubaix. La filière se reconstitue petit à petit.

Certains observateurs pointent les limites de ces initiatives. Ainsi pour Bertrand Avio, patron de l'entreprise textile familiale Avio, située près de Cambrai, « il existe tellement de labels, que le terme de made in France ne veut pas toujours dire grand-chose ». Entre Origine France garantie, made in France, fabriqué en France, produit en France, France Terre Textile que certaines régions ont déclinée en ajoutant leur nom, il est vrai que le consommateur s'y perd un peu. « Il faudrait un seul et même label qui soit un vrai repère », ajoute cet industriel du textile. Dans l'habillement en tout cas « c'est la confection qui confère l'origine », rappelle Eric Mézin de l'UITH Nord.