Marques digitales de mode, 4 conseils pour obtenir des financements

Dans le secteur bien encombré de la mode en ligne, comment convaincre un fonds d'investir ou une banque de prêter ? Le JDN leur a posé la question.

Pas facile, pour les marques digitales de mode, et plus généralement les start-up spécialisées dans les biens de consommation, de trouver des financements. Les fonds d'investissement et les banques leur préfèrent les acteurs tech et donc bien souvent le BtoB, rappelle Antoine Régis, co-fondateur du fonds early stage Eutopia, qui s'est spécialisé dans les DNVB françaises et étrangères. Faire grandir une marque nécessite du temps, et ce temps peut ne pas être compatible avec les conditions d'investissement d'un fonds. Surtout pour une marque de mode. "Pour la mode, c'est plus compliqué, il faut le reconnaître. Entre l'évolution des tendances, la gestion de la supply chain, l'hyper fragmentation du marché et les habitudes de consommation qui changent, plusieurs paramètres sont à prendre en compte", expose Cayetana Hurtado, VC chez Balderton Capital.

Les marques de mode n'en ont pas moins besoin de se financer. En tout cas certaines d'entre elles : "Soit tu crées une marque niche et atteint une maturité autour de 3 millions d'euros de chiffre d'affaires avec un business qui fonctionne, soit tu souhaites que ta marque passe le cap des 8 ou 10 millions d'euros et tu es obligé de lever des fonds pour recruter, financer la production, ouvrir des boutiques, etc.", souligne le fondateur d'une marque digitale de mode. Des projets qui impliquent de de l'emprunt ou une levée car les faibles marges réalisées par les marques de mode digitales ne permettent pas d'accumuler suffisamment de trésorerie. Cette même marque de mode peine à obtenir le soutien des banques et fonds d'investissement pour financer son BFR. "C'est pourtant crucial pour garantir la croissance, poursuit le fondateur anonyme, qui dénonce une frilosité ambiante. Quant aux banques, elles ne sont pas familières des problématiques du prêt-à-porter". Sur ce point, Nicolas Parpex, directeur du fonds Industries Créatives chez Bpifrance, confirme les difficultés rencontrées par les banques privées face aux dossiers des marques de mode. "Les spécificités de leur business model digital requiert des clés de compétences, explique-t-il. C'est la raison pour laquelle nous partageons notre expertise avec les banques afin de pouvoir accompagner ensemble les marques de mode."Comment vous démarquez si vous êtes une DNVB de mode en quête de financements ? Quels sont les points de vigilance à étudier de près ?

Gare aux effets de mode

Chez Eutopia, la marque danoise Organic Basics est la seule du portefeuille spécialisée dans les vêtements. Un constat révélateur de la difficulté d'être différenciant dans ce marché concurrentiel. "Le modèle traditionnel ne nous convient pas pour la mode. Avec Organic Basics, on retrouve la dimension environnementale et surtout la notion d'habillement plus que de mode", explique Antoine Régis. Car les effets de mode et leur caractère éphémère ne sont pas de nature à rassurer un potentiel investisseur. "En privilégiant des vêtements intemporels comme le fait Organic Basics, il y a moins de risques d'être démodé sur la durée", approuve le co-fondateur d'Eutopia.

Affirmer votre créativité

Marques digitales de mode, 4 conseils pour obtenir des financements

Quel est le point commun entre Asphalte, Rouje et BonneGueule ? En plus d'être des marques digitales de mode, toutes trois se distinguent par une proposition de valeur autre que l'indispensable eshop. Asphalte, spécialiste de la précommande, présente ses produits et leur composition en vidéo, BonneGueule fidélise ses clients grâce à son blog historique, et Rouje évolue à travers l'influence de sa fondatrice au million d'abonnés sur Instagram. "Le fait de travailler son image de marque et sa différenciation créative est un point non négligeable dans la mode. Lorsque nous intervenons très tôt dans l'aventure d'une marque comme BonneGueule, cela signifie pour nous que la créativité est forte", explique Nicolas Parpex, ajoutant que Bpifrance investit en fonds propre mais octroie également des prêts.

Se différencier sur la RSE

A la manière d'Organic Basics, qui conçoit des basiques durables en coton biologique, les marques digitales de mode ne peuvent plus faire l'impasse sur les enjeux RSE, observés à la loupe par les investisseurs. Réflexion sur la fin de vie du vêtement, seconde main, éco-conception et nouveaux tissus ou encore location de vêtements… Une marque de mode doit désormais se différencier sur ces sujets devenus pré-requis pour les consommateurs qui ont connu le Covid-19. "C'est innovant de se positionner sur ces enjeux afin de ne pas faire reposer tout le modèle économique sur les habituelles problématiques de collection, qui entraînent leur lot de stress autour du stock, de la marge et du capital mobilisé", argumente Antoine Régis.

Limiter l'acquisition sur les réseaux sociaux

Pour le co-fondateur de BonneGueule, Geoffrey Bruyère, la mode est un secteur gourmand en capital qui ne coche finalement que peu de cases aux yeux des investisseurs. La marque de mode, qui a levé 6,5 millions d'euros en mai 2020, fait figure d'exception. "Ce n'est pas évident de se démarquer sur le produit, à moins de l'être sur la matière, mais à l'arrivée les clients masculins achètent des jeans bleus, pas roses. C'est plutôt le modèle économique qui peut apporter des avantages par rapport à la concurrence", estime Geoffrey Bruyère, qui reconnaît que la rentabilité et la croissance de BonneGueule rendent la marque plus éligible aux financements. D'après lui, les DNVB qui dépendent des réseaux sociaux pour acquérir de nouveaux clients voient leur marge s'effriter car le coût d'acquisition, lui, ne cesse d'augmenter. Il conseille donc de limiter sa dépendance aux réseaux sociaux pour générer du trafic. Une décision pragmatique selon le co-fondateur de BonneGueule : "Le gros de notre trafic provient du bouche-à-oreille et de notre média. Conséquence, notre acquisition payante est rentable. Je pense qu'au-delà de la qualité des vêtements, une marque de mode qui souhaite lever des fonds doit être en mesure de garantir de la traction, de la fidélisation et de la marge pour rassurer les investisseurs".

Avez-vous réellement besoin de lever des fonds ?

En fonction des ambitions de la marque de mode, le capital-risque n'est pas toujours la meilleure option. "Entre la trajectoire de croissance rapide, la prise de risque importante et la vocation à rechercher de la liquidité par la suite, cela ne correspond pas forcément au projet de toutes les marques de mode", explique Antoine Régis chez Eutopia, qui a reçu une centaine de dossiers de marques de mode en 2020. "Notre rôle n'est pas d'accompagner toutes les marques de mode en fonds propre mais d'être capable d'accompagner des marques à fort potentiel", ajoute pour sa part Nicolas Parpex. Pour les DNVB, reste encore l'alternative des business angels, plébiscitée par 21 d'entre elles parmi les 36 tours de table de 2020.