Fashion week: la poésie du quotidien

La vue imprenable depuis le grand foyer du Théâtre de Chaillot est connue. À quelques mètres de là, les touristes se bousculent à longueur d'année sur l'esplanade du Trocadéro, pour se prendre en photo avec la tour Eiffel en toile de fond. Pourtant, jeudi matin, quand, au final du défilé Ami, les rideaux s'ouvrent et que le public voit apparaître notre dame de fer, la magie opère. Ce label parisien et quelques autres marques indépendantes ont fait du charme du quotidien et des bonheurs simples leurs signatures. Et ça marche.

Rien de spectaculaire dans la collection Ami pour l'automne-hiver 2019-2020? C'est vrai, mais là n'est pas le propos. En 2011, Alexandre Mattiussi a lancé sa marque avec un dressing de tous les jours, serein sur le plan du style et des prix, à destination d'hommes qui suivent les tendances sans en faire trop. Des grands classiques qui rassurent, dont on ne se lasse jamais et que le Français remet au goût des prochains froids dans des coloris naturels -écru, beige, camel, café au lait, chocolat, sapin, gris flanelle…-, véhiculant un chic impalpable. Les volumes ont la rigueur du formel et l'aisance raisonnable du sportswear. En un mot comme en cent, c'est élégant. Sur le podium (et dans les magasins), de plus en plus de filles emboîtent le pas à ces dandys soignés, et jamais apprêtés. Et on les comprend. Quelques pièces sont signées du cœur, logo d'Ami depuis quelques saisons. Ce symbole que l'on utilise à tout-va sur les réseaux sociaux ici reprend sens.

Yohji Yamamoto, dont le style déstructuré fait l'objet d'hommages appuyés sur d'autres podiums, intervient avec une subtilité nouvelle sur ses grands classiques

Les affaires et les sentiments ne font jamais bon ménage. Vraiment? Depuis plus de trente ans, Dries Van Noten habille les hommes avec passion, transposant sa sensibilité et sa retenue flamandes dans ses collections. À l'instar d'Alexandre Mattiussi, il prend ses distances avec les excès de cool. La saison s'attache à insuffler une aisance moderne à l'esprit tailleur. Des blazers croisés dans du tissu whipcord assoupli en jettent déjà de loin. Les pantalons larges finissent de camper ces silhouettes aussi sobres qu'impeccables. La palette de draperies très masculines fleure bon la tradition. Parfois, le designer belge les surteint de motifs tie & dye pour des manteaux. Ou les capitonne et les matelasse pour des parkas citadines. Les larges ceintures, les grandes poches, les tailles un peu hautes, les bretelles et les besaces de postier croisant le buste rappellent les habits et les sacs de métier. Quelques étoffes dans des jacquards hallucinés livrent leur touche de folie. La collection est d'une grande homogénéité. Pas spectaculaire, mais cousue de charme.

Un même raffinement chez Yohji Yamamoto . Le Japonais, dont le style déstructuré fait l'objet d'hommages appuyés sur d'autres podiums (et séduit la scène hip-hop au regard des rappeurs Chris Brown et Gunna assistant à sa présentation), intervient avec une subtilité nouvelle sur ses grands classiques. Ceux-ci sont façonnés dans des prince-de-galles et autres lainages surteints dont le graphisme n'est quasiment plus qu'un souvenir. On devine aussi des ombres de visages, des écritures en kanji. Des grandes broderies abstraites à fils coupés sont placées, ici ou là. Les découpes des redingotes sont soulignées de boutons, jusqu'à l'excès, dorés ou ton sur ton, dans cette proposition en noir du premier au dernier passage.

Chez Ann Demeulemeester, les mannequins sont beaucoup plus jeunes. L'âge trouble de l'adolescence faisait partie des inspirations premières de la créatrice

Fashion week: la poésie du quotidien

Le casting de gars poivre et sel finit d'ancrer le propos de Junya Watanabe dans le réel. Le Nippon a dessiné cette collection, baptisée «Silver Swagger», «avec des hommes de sa génération, voire plus âgés, en tête», précise la note d'intention. Les vêtements semblent, eux aussi, avoir déjà vécu. Les jeans sont usés, retroussés et agrémentés de morceaux de tissus différents comme des rapiècements. Le designer réactualise son esthétique patchwork en cousant des parties de vêtements utilitaires à des fragments d'habits de grand froid et à des devants de veste de gentleman-farmer, toujours avec une efficacité épurée.

Chez Ann Demeulemeester , les mannequins sont beaucoup plus jeunes. L'âge trouble de l'adolescence faisait partie des inspirations premières de la créatrice. Son successeur, le Français Sébastien Meunier, respecte ce legs tout en y ajoutant des aspérités. L'offre est plus variée que par le passé. Les étoffes fragiles tutoient des grosses laines. Des chemises en soie, tuniques aériennes et tee-shirts en voile dépassent des sahariennes d'hiver en drap épais, des vestes en peau retournée et des manteaux costauds à ceinture et col larges. Les mailles sont vrillées, décolorées comme par accident. Comme dans la vraie vie.


Le cœur du métier

«Voilà mon cœur!» résume Davide Morello en présentant sa deuxième saison Davi. «À quoi sert de créer sa marque si c'est pour ne pas être libre? Quand on travaille pour une grande maison (il a fait ses classes chez Armani et Gucci, puis piloté le style de Boglioli, NDLR), on est sans cesse sous la contrainte. Ici, mon objectif n'est pas d'être vendu dans le monde entier et de gagner beaucoup d'argent. Je souhaite me développer à mon rythme, en créant des vêtements que j'aime et en vivant de ma passion.» Après une ravissante première collection de chemises imprimées de brassées de fleurs, le Milanais étend son vestiaire à des surchemises en coton (toujours) fleuri et des pantalons cargo à grosses poches. Des faisans et des papillons (le logo) ont rejoint les motifs de jardin en floraison, inspiré de souvenirs d'enfance et d'une mère lectrice de magazines de mode. «Je la revois les feuilleter. J'étais captivé par ces images de femmes si belles sur papier glacé. De là est né mon amour du métier.»

En quasi catimini, Martin Grant dévoile aux initiés de sa mode féminine une capsule homme travaillée à partir de la même gamme de matières

C'est avec un même enthousiasme qu'Anthony Alvarez développe, dans sa boutique-atelier du XIe arrondissement de Paris, son label Oneculture depuis 2017. Après Manille, Fès et Tokyo, ce Franco-Philippin né à New York se réapproprie la ville de Detroit. Les vestes de survêtement en velours à grosses côtes se réfèrent à la compagnie de disques Motown, les pantalons cargo à l'âge d'or de la General Motors. Les chemises en soie reprennent la cartographie de la ville du Michigan.

Hugues Fauchard et Rémi Bats, les jeunes Français derrière Uniforme, présentent leur deuxième collection en marge de la Fashion Week. De leur obsession pour le vêtement utilitaire (qui a donné le nom à la marque), le duo a imaginé un vestiaire empreint de délicatesse. Les taches de couleurs évoquant la biodiversité de la forêt, sophistiquent le paletot d'ouvrier, le gilet militaire et le bleu du jardinier.

En quasi catimini, Martin Grant dévoile aux initiés de sa mode féminine une capsule homme travaillée à partir de la même gamme de matières. Des blousons et des cabans aux proportions mesurées sont incrustés de lainages à carreaux. Les pantalons affichent un tomber impeccable. C'est la troisième saison qu'il se penche sur la mode homme. Les deux premières ont été un succès: sa démarche de discret couturier en appartement séduit à l'étranger.


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