Comment les youtubeurs d’extrême droite séduisent-ils les plus jeunes ?

Ils se surnomment Papacito, Le Raptor, ou encore Julien Rochedy, et la moindre de leurs vidéos sur YouTube dépasse allègrement les 100.000 vues. Chacun a son propre compte sur la plateforme de vidéos mais leurs profils convergent : un discours d’extrême droite antirépublicain, une ode à la violence, au roman national et aux gros bras, et des provocations répétées.

Dernière en date, ce dimanche 6 juin, lorsque Papacito a publié une vidéo intitulée « Le gauchisme est-il pare-balles ? » Dans celle-ci, il tirait au calibre 12 sur un mannequin présenté comme un électeur de La France Insoumise. « Bien sûr, le but de cette vidéo n’est pas de vous engager à produire de la violence. Elle est purement expérimentale », rappelle le youtubeur juste avant de faire exploser la tête du mannequin.

Une vidéo depuis supprimée par YouTube et qui a provoqué l’indignation de Jean-Luc Mélenchon, présentant ce contenu comme un appel au meurtre. Paroxysme d’une montée en puissance de ces youtubeurs. « L’ultra-droite qui a toujours été très marginalisée, très divisée, trouve à travers des réseaux sociaux l’occasion de sortir de son isolement grâce à des codes et des formes adaptés à la nouvelle génération », note Stéphane Rozès, politologue et président de Conseils, analyses et perspectives (CAP).

Provocation démesurée et ambiguïté contrôlée

Les codes, repris par tous ces youtubeurs, sont facilement identifiables : un contenu toujours plus provocateur pour faire le buzz, des featurings (vidéos entre plusieurs d’entre eux) pour un aspect plus convivial et amical, une apparente simplicité de format, et de « l’humour ». Le tout mixé à la sauce discours ultra-droite. « Le public de Papacito ou du Raptor est plus jeune que celui qui resterait une heure devant un discours de Marine Le Pen ou une plaidoirie d’Eric Zemmour. Cela demande moins d’efforts intellectuels, c’est une consommation passive, ce qui la rend encore plus dangereuse », explique Jean-Yves Camus, politologue spécialiste de l’extrême droite.

Comment les youtubeurs d’extrême droite séduisent-ils les plus jeunes ?

Une rhétorique qui sert également à se défendre facilement en cas d’attaque, comme ce fut le cas de Papacito, qui martèle l’idée que sa vidéo n’était que de l’humour un peu provocateur mais n’avait aucun fond sérieux. « Il y a une ambiguïté volontaire sur le côté parodique ou non de la chose. Mais si on enlève le pseudo-second degré de ces vidéos, il ne reste plus que la violence. On n’est jamais à l’abri qu’une personne prenne ça qu’au sérieux et passe à l’acte », s’indigne Jean-Yves Camus. Une ambiguïté renforcée par la culture de YouTube, qui permet de faire passer simplement la chose dans un contexte de buzz général sur la plateforme.

A la frontière du réel

Au-delà de l’humour, tout le contenu de ces vidéastes tangue entre réel et fiction. Roman national plus que mythifié, où la rencontre historique entre François Ier et le roi d’Angleterre Henri VIII est décrite par Papacito sous la forme d’une prise de catch du souverain français sur Henri VIII, qui se serait uriné dessus à la suite de sa défaite (oui oui, vous avez bien lu cette phrase), comparaison entre l’histoire de France et l’univers des séries comme Game of Thrones, habits militaires, références multiples à l’universel médiéval, costumes et armes à feu foisonnent dans leurs vidéos…

« On a plus affaire à des personnages qu’à des personnes. Il y a une romantisation de la France et d’eux-mêmes pour se rendre plus intéressants, plus vendeurs, plus charismatiques. On a plus l’impression de regarder une série qu’un discours politique, mais les idées s’imprègnent », appuie Jean-Yves Camus. Et séduisent plus, avec cette facilitation d’écriture et cette intensité qu’a la fiction par rapport au réel. Or, dans un monde en crise sociale et économique, ces « contes » peuvent se révéler séduisants. « Beaucoup de personnes sont désorientées et ont besoin de trouver dans des discours simples, voire radicaux, voire complotistes, des explications à une réalité qui leur échappent ou leur semblent trop cruelles », indique Stéphane.

Néovirilisme et amour du mâle

Dernier argument commercial, et peut-être l’un des plus mis en avant, la testostérone. Vidéo « burnée », « de vrais mecs », « mâles alpha », on vous passe l’ensemble du vocabulaire employé, mais l’idée est assez claire. Ces youtubeurs partagent un même culte de la virilité et de la masculinité. « Cela sert la soupe aux adolescents et post-adolescents en mal de repères et en mal de virilité. Là aussi, c’est de l’incarnation de personnage plus que de la réalité, mais certains y croient », se désespère Jean-Yves Camus.

Un mélange détonant qui peut paraître à la fois complètement surréaliste et dangereux. « Lorsqu’on enlève les gesticulations inutiles, les approximations historiques et la testostérone de façade, c’est quand même un grand vide intellectuel », estime Jean-Yves Camus. Un grand vide qui cumule à plusieurs millions de vues.

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